« L’actualité porte à penser que la distinction entre archéo et néoantisémitisme pourrait bien masquer de nouvelles convergences. »
L’antisémitisme traditionnel, d’inspiration nationaliste et identitaire, penchant nettement vers l’extrême droite, et visant les juifs en tant que groupe ethnique et/ou religieux. Et le nouvel antisémitisme – d’autres parlent de judéophobie – qui se cacherait derrière la détestation d’Israël et la dénonciation du « lobby sioniste ». On le trouverait plutôt à l’extrême gauche et dans le monde musulman. S’il est vrai que ces manifestations de la haine des juifs ne touchent pas les mêmes populations, ne puisent pas aux mêmes sources historiques ni aux mêmes argumentaires, l’actualité porte à penser que la distinction entre archéo et néoantisémitisme pourrait bien masquer de nouvelles convergences. De cet antisémitisme « de synthèse », on trouve trace dans le sondage de l’Ifop sur le complotisme réalisé en décembre pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch. Il s’agissait de mesurer l’impact dans l’opinion des théories conspirationnistes. Dont celle-ci : «Ilexisteun complot sioniste à l’échelle mondiale. » On peut émettre des réserves sur l’intitulé, qui assimile implicitement les juifs au sionisme. Le résultat n’en est pas moins impressionnant. Vingt-deux pour cent des interrogés valident la proposition. Le taux monte à % chez ceux qui avaient déjà entendu énoncer cette version actualisée du complot des Sages de Sion. Et de façon troublante, elle recueille des scores comparables, respectivement et %, chez les partisans de La France insoumise, proche de la cause palestinienne, et chez ceux du Rassemblement national, plutôt pro-israélien. Et même % chez les personnes se définissant comme « gilets jaunes ». Sur les réseaux sociaux, ce qu’on voit affleurer ici et là, sous le couvert de l’anonymat (ou du pseudonymat), c’est un antisémitisme en quelque sorte « syncrétique », dont on est souvent bien en peine de dire s’il vient de l’ultragauche ou de l’ultradroite, tant les repères sont brouillés, et qui fonctionne comme un agrégateur de passions. Comme si « le » juif (ou le sionisme) concentrait en lui et synthétisait tout ce qu’exècrent certaines franges de la France en colère : le « système », l’oligarchie, le pouvoir de la finance, les grandes fortunes, le néolibéralisme, la mondialisation, l’impérialisme américain. Liste non exhaustive. Ce juif imaginaire, on a quelquefois aperçu son pantin, ou sa caricature, dans les manifestations ou sur les ronds-points. Des cas isolés, fort heureusement. Mais peu, c’est encore beaucoup trop. Prenons garde au message que cette dangereuse fantasmagorie envoie, pas seulement aux juifs mais à la société tout entière. La haine des juifs est ce qu’on appelle un « canari dans la mine de charbon » : un signal d’alarme. Il annonce que l’air devient irrespirable.