« Le vocabulaire le plus riche derrière Pompidou »
Pourquoi ce livre consacré à la rhétorique macronienne ?
L’objectif est clairement de comparer Emmanuel Macron à ses prédécesseurs à l’Elysée. Je l’étudie sur un temps assez long (-) pour essayer de résoudre l’énigme politique qu’il constitue. Une énigme moins politique, en réalité, que verbale et discursive. Son discours nous échappe en grande partie. Mais avec les méthodes statistiques et deep learning que nous
() développons à Nice, nous espérons percer son secret !
À ce stade du quinquennat Macron, quelles grandes tendances se dessinent ?
On distingue déjà de grandes tendances, qui devraient durer. La principale, c’est cette volonté affichée de rompre avec le discours de la décennie précédente, où Sarkozy et Hollande se sont enfermés dans un vocabulaire très économique. Une grave erreur de communication, surtout en situation de crise économique ! En descendant dans l’arène politique et dans les affaires domestiques, Sarkozy et Hollande perdaient cette stature présidentielle. Macron, lui, renoue avec les origines de la Ve République, avec un discours un peu gaullien, pompidolien, bien plus régalien qu’économique.
De quels mots Emmanuel Macron abuse-t-il, et lesquels prend-il soin d’écarter ?
Nos outils statistiques montrent qu’il sous-utilise le vocabulaire économique et les mots tels que “chômage” ou “croissance”. Les seuls qu’il utilise le positionnent dans une posture libérale : “baisser les taxes”, “baisser les charges” et “normes économiques”. Il a aussi une phobie des mots marqués idéologiquement : “gauche” et “droite” bien sûr, et les mots en “isme” -àpart “terrorisme”. Il invente une forme de troisième voie : le sociétal, en évoquant “les violences faites aux femmes”, les “territoires” ,les “collectivités”. Le mot lui-même est très caractéristique des discours de Macron. “société”
Ses détracteurs lui reprochent pourtant d’être coupé de cette réalité. En parler, est-ce une arme de communication ?
Je crois que Macron a un côté girondin. Il représente une forme de bourgeoisie provinciale qui a réussi. Surtout, la force des présidents, sous la Ve République, c’est la toutepuissance de leur parole. C’est ce qu’on appelle la « performativité de la parole ». Parler devient un acte et les mots deviennent réalité, à l’instar du maire qui dit aux époux : “Je vous marie”. Ainsi, dire “régions” ou “collectivités” pour Macron, c’est s’ancrer, de fait, dans les “territoires” français.
“Idiosyncratie”, “disruption”, “ipséité”, user d’un vocabulaire aussi élitiste ne risque-t-il pas de créer un clivage avec le peuple ?
En termes de chiffres, Macron a le vocabulaire le plus riche de la Ve République derrière Pompidou. Ce vocabulaire riche, voire pédant ou universitaire, est une deuxième rupture avec ses prédécesseurs. Et je pense que c’est revendiqué. De cette manière, il redonne une sacralité à la parole présidentielle, non pas par la rareté - il y a renoncé après l’été - mais par la préciosité. L’inintelligibilité pour le commun des mortels donne une certaine prestance à sa parole.
Après Sarkozy et Hollande, il renoue avec les origines de la Ve République”
Cela a-t-il tendance à écraser ou à valoriser son interlocuteur ?
Macron prend le contre-pied de toutes les stratégies de Hollande. Il pense que l’anormalité de sa parole va plutôt élever et séduire l’électorat. En apparaissant plus instruit, plus intelligent, il rend ses décisions plus difficiles à contester.
1. Le deep learning, ou «apprentissage profond», est une forme d’intelligence artificielle, une méthode d’apprentissage automatique qui tend à modéliser des données abstraites.