Sur la mortelle route des migrants en Méditerranée
Nice-Matin embarque sur l’Aquarius le temps d’une mission de sauvetage au large de la Libye. L’an dernier, plus de 5 000 migrants ont trouvé la mort dans leur impossible traversée
En un an, ses bénévoles ont sauvé 9 662 vies. Plus de 5000 sont morts l’an dernier, la pire année de cette crise migratoire. Vendredi à l’aube, le cargo a largué les amarres, depuis le port de Catane, en Sicile. Les fumerolles et le sommet enneigé de l’Etna, extraordinaire toile de fond, se sont peu à peu estompés. Destination le nord de Tripoli en Libye. La zone de recherche des migrants. Là que leur impossible traversée sombre dans le cauchemar. Brûlés vifs par le mélange eau salée, gasoil et soleil ; pieds percés par les clous qui dépassent des ponts déglingués de leurs rafiots de fortune, assoiffés, apeurés. Leurs bateaux, de piètre qualité, finissent souvent par couler, quand ils ne se retournent pas. Un enfer sur mer, loin de l’Europe, au milieu de l’immensité méditerranéenne. Comme un linceul d’ébène, c’est souvent la nuit qui engloutit leurs cris, leurs vies. Leurs espoirs d’un monde meilleur. Des hommes, des femmes, des enfants, des bébés. Ne pas passer à côté, à quelques milles d’eux. Cette angoisse, permanente, étreint les humanitaires de l’Aquarius. Cabotine, la météo s’est jouée de notre belle route initialement tracée sur la carte marine. Nous affrontions vendredi soir des vents de 50 noeuds et une houle formée, longue, écrêtée par de violentes bourrasques dispersant rageusement l’écume sur le pont. Une péripétie. Depuis hier, 5 heures du matin, l’Aquarius est sur zone. Un sauveteur assure une veille active 24h/24, jumelles rivées sur les yeux.
« Nous voulons tous les sauver »
L’objectif s’annonce d’une immense difficulté : distinguer ces frêles esquifs désespérés au milieu de la Méditerranée. À bord, depuis vendredi, les exercices s’enchaînent. Pas de traitement de faveur. Chaque main est ici indispensable. Alors, les journalistes que nous sommes participeront aussi au sauvetage des migrants. Aider, rhabiller, nourrir, guider, rassurer.Voilà les missions. Ils sont envoyés à la mort par des passeurs sans scrupules, sur des rafiots parfaitement incapables de traverser la Méditerranée, sont souvent extirpés des flots dans un état d’hypothermie avancé. Heidi Anguria, de Médecins sans frontières, nous a enseigné comment, en repérer les signes pour alerter un membre de l’équipe médicale. Nous avons également répété massages cardiaques et mise sur civière. Les heures passent. La tension monte. Peu à peu, nous prenons conscience que dans quelques heures ou quelques jours, ce ne seront plus des mannequins sur lesquels nous devrons, peut-être, pratiquer des massages cardiaques. Mais des hommes, des femmes, des enfants rêvant d’Europe, de liberté. Fuyant avec l’énergie du désespoir la torture, les viols, l’esclavage. « Tu n’oublieras plus jamais leur regard quand tu l’auras croisé », me confie un membre de l’équipe. Nous avons rendez-vous avec eux. En priant pour qu’il ne soit pas trop tard.