Ces petites mains qui font les grands parfums…
Dans cette exploitation de plantes à parfum de Grasse, la cueillette du jasmin débute dès l’aube. Ces odorants pétales sont transformés en « absolue » prisée par la parfumerie de luxe.
L’aube pointe. Et le champ constellé de fragiles fleurs blanches à la subtile fragrance embaume déjà l’air matinal. À Grasse, la cueillette du jasmin est un rituel immuable volé aux premières heures du jour. Depuis mijuillet et jusqu’en novembre, les silhouettes des cueilleuses convergent dès 6 heures vers la propriété Garnerone, domaine de plantes à parfum depuis cinq générations, quartier du Moulin de Brun. Sept jours sur sept. Chapeautées ou pas. Seau ou panier à la hanche. Peaux tannées. Doigts agiles qui picorent frénétiquement les précieux buissons.
Une histoire de famille
La cueillette de la fleur : une affaire de femmes. Une histoire de famille aussi. Celle du clan au patronyme plus que prédestiné : les Lafleur ! Ces Grassois issus de la communauté des gens du voyage, sédentarisés au Plan de Grasse depuis des décennies, incarnent et perpétuent la tradition de cette récolte qui ne peut être que manuelle. « J’emploie le clan Lafleur Dubois depuis 1982. Auparavant, on allait chercher des cueilleurs en Italie mais il fallait les loger… » se souvient André Garnerone, septuagénaire, qui exploite en famille deux hectares de plantes à parfum : rose, tubéreuse et… jasmin.
« Première paye à 10 ans »
Dos courbé, Cathy, la cinquantaine, décrypte le geste ancestral : «Il faut tirer la fleur par la tige entre le pouce et l’index. » Et confie son amour du métier. « J’aime être dehors dans le parfum, regardez, c’est une merveille ! C’est une fierté de participer à cette industrie. » Dans son poing, des poignées parfumées s’accumulent.
La chaleur monte d’un cran. La sueur perle aux fronts. Katia, 51 ans, belle soeur de Cathy, ramasse le jasmin depuis 40 ans. « J’aime cueillir ! On est libres ! Petite, ma mère m’emmenait dans les champs. J’ai eu ma première paye à l’âge de 10 ans. Si on n’aime pas ce métier, on ne peut pas le faire, c’est trop dur. Le dos, c’est du chewing-gum ! » Dans les rangées aux effluves entêtantes, on plaisante, on se raconte les derniers ragots. Complices. Sans ralentir le rythme sous le soleil mordant. Coraline, 32 ans, mariée avec le neveu de Katia, est cueilleuse depuis cinq ans. Mais la relève est loin d’être assurée. « Nos enfants ne veulent pas ramasser, regrette Marie, cousine de Cathy, brune joviale à queue-de-cheval. Nous sommes les petites mains qui font les grands parfums. S’il n’y a plus de ramasseurs, qui va fournir ? Les pays étrangers ? »
10 000 fleurs pour un kg
À l’issue de plusieurs heures de cueillette vient l’heure fatidique de la pesée. Compétition assumée et joyeuse rivalité entre cueilleuses. Chacune aura glané environ 2 kg de ces délicats pétales au poids plume. Il faut 10 000 fleurs pour un kilo… « Cette année, la fleur est très belle mais les plants donnent moins à cause de la chaleur. L’an dernier, on ramassait jusqu’à 3 à 4 kg chacune par jour », souligne Katia.
Demain ? Nouvelle éclosion de boutons blancs à cueillir avec le sourire…