« Sur le ferroviaire, notre pays a 30 ans de retard »
Rapporteur du budget transport ferroviaire au Sénat, l’Azuréen Philippe Tabarot pousse un cri d’alarme : il y a urgence à investir. En fixant la sécurité du réseau comme priorité absolue.
Côté pile, une bonne nouvelle : la fréquentation des trains en juillet - août atteint des records, en hausse de 10 % par rapport à 2019. Côté face, des pannes à répétition ont transformé certains voyages estivaux en galères durailles. Le sénateur azuréen Philippe Tabarot, rapporteur du budget transport ferroviaire à la chambre haute, détaille les problèmes liés au vieillissement du réseau. Il suggère d’engager les mesures qui s’imposent à toute vapeur.
Neuf Français sur dix ne prennent jamais le train. Pourquoi ?
Ce chiffre est d’autant plus étonnant que, pour des raisons historiques, les Français sont attachés au chemin de fer !
L’explication de ce paradoxe, c’est la qualité du service : les retards, les wagons bondés, une offre qui n’est pas assez diversifiée...
Comment remédier àcela?
Il faut investir massivement. Notre réseau aplusde trente ans d’âge – contre quinze en moyenne dans les autres pays européens.
Il souffre d’un déficit de maintenance d’une part, d’une modernisation inexistante d’autre part ! Un contribuable français investit 40 euros par an dans le ferroviaire, contre 100 euros pour un italien et 400 euros pour un suisse. Résultat : en Suisse, le train est trois fois plus utilisé qu’en France.
Que préconisez-vous ?
Il faudrait passer a minima de 2,9 milliards à 4 milliards d’euros d’investissement annuel sur les dix prochaines années. Le président de la SNCF, lui, réclame 100 milliards sur quinze ans en intégrant le fret ferroviaire qui ne couvre que 9 % des transits – contre 30 % par exemple en Autriche. Notre pays a trente ans de retard.
La faute à qui ?
C’est une responsabilité partagée par tous les gouvernements. C’est comme lorsqu’on refait une route : on s’attache à la qualité de l’enrobé, mais on néglige parfois les réseaux sousterrains qui sont invisibles. Ce sont pourtant des travaux indispensables.
En d’autres termes, le TGV est l’arbre qui a caché la forêt ?
Le TGV a été une réussite exceptionnelle il y a 40 ans. Mais ensuite, on s’est reposé sur nos lauriers. La modernisation en profondeur du réseau a toujours été remise au lendemain.
En Suisse, le train est trois fois plus utilisé ”
Par quoi faut-il commencer ?
La priorité absolue, c’est la sécurité. L’accident de Brétigny-sur-Orge [qui a fait sept morts et des centaines de blessés en 2013, Ndlr] a prouvé qu’il y a clairement des risques. On a plus de 5 000 km de voie ferrée ralentis pour des questions de sécurité. Il faut pouvoir les remettre en fonction normalement.
Puis il faut travailler sur la signalisation. Nos deux mille postes d’aiguillage datent du début du
XXe siècle. En Belgique, vingt postes contrôlent l’ensemble du réseau ! Dans ce domaine, on est encore à l’âge de pierre.
Vous êtes un partisan déclaré de l’ouverture à la concurrence, qui interviendra en 2025 pour le TER en Région Sud. Dans les faits, les candidats ne se bousculent pas dans les gares…
J’ai travaillé sur ces questions lorsque j’étais en charge des transports à la Région [jusqu’en 2021, Ndlr]. Pour tâter le terrain, on a lancé un appel d’offres à blanc et on a reçu plusieurs manifestations d’intérêt. Mais lorsqu’on est passé à la phase concrète... Pfffftt !
Comment l’expliquez-vous ?
Il y a eu un effet Covid, bien sûr. Mais pas seulement. Ces opérateurs ont évoqué le coût élevé des péages ferroviaires dans notre pays. De plus, le gestionnaire du réseau étant une branche de la SNCF, ils pensent qu’ils ne vont pas être traités de façon équitable – à tort ou à raison. Il faudrait donc, pour commencer, abaisser le prix des péages qui est dissuasif.
L’ouverture à la concurrence ne règle pas le problème des petites lignes non rentables.
40 % d’entre elles sont menacées de fermeture. Que faire ?
L’État doit tenir ses engagements vis-à-vis des régions qui sont déjà impactées par la désertification et la perte des services publics.
Quid des lignes abandonnées ?
Pour les revitaliser, on pourrait imaginer des structures atypiques, des sociétés coopératives comme Railcoop, qui agit pour renforcer l’usage du ferroviaire afin de contribuer à la transition écologique.
Et la disparition progressive des guichets dans les gares ?
Cela renvoie à la qualité du service. L’ouverture à la concurrence peut apporter certaines réponses. L’italien Trenitalia [présent depuis fin 2021 sur la ligne grande vitesse Paris-Lyon, Ndlr], par exemple, est salué pour la qualité de l’information délivrée aux usagers.
On paye plus cher un billet de train qu'un billet d'avion. Est-ce normal ? C’est absurde. L’augmentation de l’offre doit permettre de faire baisser les tarifs sur la grande vitesse notamment.
“est Lorsqu’on passé à la phase concrète... Pfffftt ! ”
La sécurité à l’intérieur des rames, c'est une vraie question… ou juste un colifichet électoral ? Cette insécurité existe, bien sûr, comme dans le reste de la société qui est de plus en plus violente. Il faut s’en préoccuper. Cela dit, je pense que les mesures mises en oeuvre par la Région ont ramené un certain sentiment de sérénité à l’intérieur des wagons.