Francis Lalanne : « Nous vivons sous la dictature des partis… »
Le chanteur rebelle copréside le «Mouvement 100 %», qui réunit vingt-huit mouvements écologistes et citoyens. Il dézingue à la fois le consumérisme forcené et l’assistanat, défendant une troisième voie
Francis Lalanne est depuis peu grand-père d’une petitefille. Et cela rend l’auteur de Dépolluer la planète ou On se retrouvera plus incandescent que jamais. Il s’emporte, s’enflamme, fustige, rêve encore et toujours d’un monde plus doux. Cofondateur en 2009 avec le Niçois JeanMarc Governatori de l’Alliance écologiste indépendante, il reprend aujourd’hui, à 58 ans, son bâton de pèlerin en coprésidant avec lui le « Mouvement 100 % », qui rassemble vingt-huit mouvements écologistes et citoyens et présentera des candidats dans toutes les circonscriptions de France aux législatives de juin. Candidat à celles de 2007 dans le Bas-Rhin (3,5 % des voix), le poète écorché vif défend un modèle à rebours des diktats de la société de consommation actuelle. Et ça décoiffe !
Vous allez présenter des candidats aux législatives. Pourquoi pas un candidat à la présidentielle ? Nous sommes bien conscients qu’il y a une volonté du système partisan d’empêcher la société de se faire entendre. Compte tenu de nos faibles moyens, on a donc choisi de concentrer toute notre énergie sur les législatives, où les candidatures ne sont pas soumises aux parrainages. Bien évidemment, on aurait aimé avoir un candidat à la présidentielle. Mais les partis qui fonctionnent sur un système mafieux utilisent les institutions pour confisquer la souveraineté nationale.
Y a-t-il malgré tout un candidat à la présidentielle qui vous séduise plus qu’un autre ? Le projet d’Hamon, soutenu par Jadot, vous inspire-t-il ? On va comparer les programmes des uns et des autres et voir celui qui est le moins pire pour la société française. Et pour cela, on va essayer d’être le moins démagogique possible et le plus pédagogique possible pour expliquer aux Français les enjeux. On sent bien qu’ils sont perdus, n’y comprennent plus rien et que tout est fait pour qu’ils n’y comprennent plus rien. Nous ne voulons pas nous laisser embarquer dans le jeu politicien qui est un show qui abuse les gens par des stratagèmes. On va étudier ce qui va être proposé, on indiquera aux Français les risques qu’ils encourent et, éventuellement, on leur dira ce qui est le moins pire pour eux dans l’actuel paradigme, que bien sûr nous voulons changer. Aucun candidat ne vous séduit ? Non, personne. Pour une raison très simple : deux théories du monde s’opposent, alors que nous en défendons une troisième. La première est la théorie pseudocollectiviste qui déresponsabilise et désocialise les gens en leur promettant qu’on va les prendre en charge et qui fabrique des assistés qui s’en remettent à l’État providentiel. De l’autre côté, on a des hyperconsuméristes qui mettent la croissance au coeur du débat, comme si le bonheur était lié à la croissance. A l’instar de Pierre Rabhi, nous prônons au contraire la frugalité heureuse. Pour nous, le bonheur ne dépend pas de la croissance. Ce qu’on voudrait, c’est remettre l’homme au centre du débat. Nous sommes pour l’autonomie, la coresponsabilité. Et, surtout, on n’est pas là pour dire qu’on a la solution à tous les problèmes. Ceux qui le disent sont des menteurs. Il n’y a pas d’homme providentiel. Aucun des candidats en présence, qu’ils soient collectivistes ou consuméristes, n’a les solutions aux problèmes. Ils ne font que surfer sur l’immense désarroi de la population pour lui chanter ce qu’elle a envie d’entendre.
Votre slogan, « % politicien, % citoyens », n’est-il pas précisément démagogique ? En tout cas, il est informatif. Nous sommes absolument réfractaires à la politique politicienne. L’alternative, c’est la vision citoyenne. Mais nous ne sommes pas des magiciens. Nous sommes des chefs d’entreprise, des paysans, des commerçants. Depuis Pompidou, nous avons des plans chômage et ce dernier augmente toujours, vous trouvez cela normal ? En , l’abbé Pierre alertait déjà tout le monde sur la précarité et, aujourd’hui, on est encore obligé d’enjamber les gens qui dorment par terre ! Deux cents fermes disparaissent toutes les semaines en France et tout le monde s’en fout. Ce n’est pas de la démagogie de dire ça. La France emprunte tous les jours millions d’euros. Les gens qui ont du mal à boucler leurs fins de mois ont, bien sûr, envie d’entendre qu’on va augmenter les minimas sociaux et baisser l’âge de la retraite, mais comment va-t-on financer cela? M. Macron, qui est juste monsieur Hollande II, un social-libéral assumé alors que Hollande était un social-libéral honteux, nous explique qu’à ans il a déjà les réponses à tous les problèmes. François Hollande est finalement le plus grand écologiste, puisqu’il a inventé le recyclage politique. Macron est un produit recyclé, un leurre, derrière lequel va se recréer un Parti socialiste bis, dans lequel on va recaser tous les vieux cadres staliniens qui font que la France est dans la m… depuis des années. Nous, on essaie de faire entendre la voix de la raison, en disant que tout cela est du show, que ce n’est pas sérieux, et que ce n’est pas en écoutant des beaux parleurs qu’on s’en sortira.
Quelles sont les principales mesures que devrait porter votre candidat idéal à la présidentielle ? Il devrait déjà faire en sorte que toutes les sensibilités puissent s’exprimer à l’Assemblée, en instaurant la proportionnelle. Il devrait ensuite mettre un terme à la dictature des partis et coresponsabiliser les Français en arrêtant de présenter l’État comme providentiel. Il faut oeuvrer à réduire l’État jacobin et centralisateur qui fait du mal. Il faut travailler dans des microstructures et non des macrostructures, donner de l’autonomie aux Régions et réduire les principes régaliens. L’État doit juste être un superviseur. Aujourd’hui, la République où nous vivons est le contraire de ce qu’elle prétend être. Tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains de l’exécutif. Comment expliquez-vous le décalage entre la sympathie des Français pour les mouvements écologistes et citoyens et leurs faibles résultats électoraux ? Je vais peut-être vous choquer. A l’heure actuelle, , millions de Français encouragent madame Le Pen et ne sont pas représentés à hauteur de la force qu’ils représentent. Cela est dû au trafic institutionnel opéré par les partis pour confisquer la souveraineté nationale. Nous sommes en plein sous la dictature des partis que le général de Gaulle redoutait de voir advenir. Et ils font tout pour empêcher des mouvements comme le nôtre d’émerger. Nous vivons sous une monarchie constitutionnelle. Les gens ont envie de prendre en mains leur destin, mais n’ont pas les moyens institutionnels pour le faire, parce que les partis s’accrochent à leur pouvoir, devant un peuple de sans-culottes qui vont finir par se soulever et c’est pour cela que le « Mouvement % » existe.
Serez-vous vous-même candidat aux législatives ? Je suis revenu dans la politique de rue à l’appel de mon ami Jean-Marc Governatori. Je mets ma notoriété au service des candidats que nous allons présenter, mais je ne serai pas moi-même candidat. Je conçois mon action comme un service public, au service d’une cause.
Vous aviez raconté en dans une émission mener une vie de vagabond. Est-ce encore le cas ? J’ai interrompu ma vie de vagabond et je me suis sédentarisé à l’appel de mes camarades pour participer à cette lutte que nous menons ensemble. Je vais suspendre mes activités artistiques pour me consacrer à cette démarche politique durant quelques mois. Je le fais avec envie. Je suis devenu grand-père il y a peu. En voyant naître cette petite-fille, je me suis dit : «Si elle savait dans quel monde elle arrive, est-ce qu’elle ne m’en voudrait pas ?» Je considère de mon devoir d’agir pour que ce monde soit le moins pire possible. Je suis poète et le mot poésie en grec vient du mot agir. J’agis dans le sens de mon imagination mais j’agis. Je ne peux pas être un poète digne de ce nom sans agir. Ça m’expose, ça m’attire des ennemis, la politique est un monde horrible dans lequel je n’aime pas évoluer, mais je veux défendre la liberté.
Vous venez quand même de sortir un disque de chansons de Léo Ferré… En réalité, à la disparition de Léo, j’ai tellement souffert de ne plus avoir avec lui nos rendez-vous d’amitié que je m’en suis recréé en allant régulièrement en studio, avec un groupe d’amis marseillais, Carré blanc, pour enregistrer des chansons à lui. Et puis au regard de la somme de titres en stock depuis , ils ont voulu sortir un disque. J’ai accepté, à condition de ne pas toucher d’argent dessus. Je repars par ailleurs enregistrer un clip en Australie, dans le cadre du tour du monde que je fais à la rencontre de communautés dont la langue meurt, pour les aider à la préserver. Car chaque fois qu’une langue disparaît, c’est un moyen de moins pour les hommes de défendre leurs droits. C’est une chanson éminemment écologiste, un tiers en anglais, un tiers en français et un tiers en nunga, la langue des aborigènes avec lesquels j’ai fait cette chanson et qui est parlée par trois cents personnes dans le monde. Ensuite, jusqu’au juin, je serai au service de « % ».
Les sans-culottes vont finir par se révolter ”