Var-Matin (Grand Toulon)

Jean-Michel Fernandez, de bateaux en papier

À 56 ans, cet enfant d’Oran, plus Toulonnais que pied-noir, ne porte peut-être pas de montre de luxe mais a réussi sa vie. Il a en tout cas réalisé ses deux plus grands rêves: être marin et libraire

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Ceux qui empruntent souvent le quai Cronstadt à Toulon l’ont sûrement déjà croisé. Éternelles bottes de travail aux pieds - « elles sont comme des chaussons pour moi » - la démarche nonchalant­e, les épaules légèrement voûtées et l’air pensif, Jean-Michel Fernandez dirige la société coopérativ­e maritime du lamanage de Toulon - Brégaillon depuis plus de 15 ans. Lamanage ? Un terme maritime qui désigne les opérations d’amarrage. Depuis 1989, même un peu plus puisqu’il a été saisonnier avant d’intégrer définitive­ment ladite scop, JeanMichel Fernandez «capture» le temps de l’escale les navires marchands qui font relâche dans la rade. Sans jamais quitter la terre ferme, si ce n’est pour se rendre plus rapidement d’un quai à l’autre entre Toulon et La Seyne, ce fan de Corto Maltese, héros romantique du dessinateu­r Hugo Pratt, est pourtant un homme de mer à part entière. Un premier accompliss­ement pour celui qui confie « avoir toujours rêvé d’être marin, comme mon père qui était fusilier marin ». Pour l’horizon sans limite, JeanMichel Fernandez verra plus tard. S’il a déjà goûté à l’ivresse du grand large à bord du porte-avions Clemenceau -« pendant mon service militaire au début des années 1980, j’ai été maître d’hôtel au carré des officiers supérieurs » -, il espère bien un jour traverser l’Atlantique à la voile.

Rapatrié à deux ans

« Dans du gros temps de préférence », lâche-t-il dans un sourire, mais avec la certitude de celui qui sait que ce projet se concrétise­ra. Comme toujours. Car en dépit d’un début de vie quelque peu mouvementé - né à Oran en 1960, il est rapatrié à l’âge de deux ans à peine Jean-Michel Fernandez a plutôt la « baraka ». Ainsi, en 1986, il empoche un loto d’un million de francs ! « Tous les mercredis, je jouais en rêvant de gagner, sans trop y croire. Et puis c’est arrivé…» Outre l’achat d’une maison, la coquette somme lui permet de devenir actionnair­e de la librairie Bédule aux côtés d’un certain… Mourad Boudjellal. « Avec Mourad, on se connaissai­t depuis la sixième au collège Peiresc. Même si nos chemins se sont séparés, j’ai beaucoup d’affection pour lui ». Ce qui n’empêchait pas ce pied-noir espagnol d’origine de taquiner son ancien associé. « Pour l’embêter, je lui disais souvent : la différence entre un piednoir et un Beur, c’est que le piednoir, lui, est né en Algérie ». Pour Jean-Michel Fernandez, son deuxième rêve - ouvrir une librairie, qui plus est spécialisé­e dans la bande dessinée - se réalise. À 26 ans à peine. S’il a depuis lâché ses parts, ce Toulonnais de coeur a encore des étoiles plein les yeux à l’évocation des années passées dans le monde du neuvième art. Le fougueux président du RCT y est forcément pour beaucoup. « Je l’ai vu au téléphone convaincre le dessinateu­r Uderzo, le père d’Astérix, de venir aux Rencontres littéraire­s de Toulon. C’était exceptionn­el ». Souvenir encore plus fort: le hors-série Charlie saute sur Toulon, fruit d’une collaborat­ion entre Charlie Hebdo et les éditions Soleil, en pleine parenthèse frontiste. « Cavanna, Choron, Jean-Edern Hallier étaient venus à Toulon. Ce dernier a même failli se battre avec Paul-Loup Sulitzer dont il disait connaître le nègre. Les rencontres littéraire­s étaient vraiment animées à cette époque-là », se marre le lamaneur.

Toulon vs New York

À l’inverse, le monde maritime, tel qu’il le connaît du moins, n’est à ses yeux « que du travail ». Un travail qui n’a pas toujours nourri son homme. «Certaines années, on n’arrivait pas à se dégager un salaire tellement le trafic maritime était faible. La coopérativ­e était au bord du dépôt de bilan. C’est grâce au trafic de cailloux pour l’extension du port de Monaco qu’on a survécu. L’arrivée de la Corsica Ferries a permis de pérenniser l’activité ». Parmi les meilleurs moments, il a en mémoire la Tall Ship Race. « Surtout la première en 2007. C’était la folie. Extraordin­aire ». Sur les quais, au fil des ans, Jean-Michel Fernandez a bien sûr noué des amitiés. Solides comme des aussières. « Profession­nellement, c’est

J’ai beaucoup d’affection pour Mourad ”

un entreprene­ur impliqué dans la vie du port. Humainemen­t parlant, il a un bon contact avec les gens. C’est un Méridional. Un vrai Toulonnais » décrit l’une d’elles. On y revient. Cet amour de Toulon, cette fierté d’être un « Moccot », Jean-Michel la cultive jusque sur les gradins de Mayol. « Même si je vais moins au stade aujourd’hui, notamment en raison du boulot, je suis passionné de rugby et du RCT ». Au bureau de la coopérativ­e du lamanage, dans la frontale du port, les maillots encadrés de Gregan et Hayman en témoignent. À part Toulon, Jean-Michel n’a eu des yeux de Chimène que pour une seule autre ville : New York. « Entre 1993 et 2000, j’y ai été à onze reprises. C’est une ville d’opportunit­és. J’ai pensé m’y installer. Mais j’avais déjà fait mon trou à Toulon et j’avais trop à perdre », raconte-t-il simplement. De l’histoire presque ancienne. Les attentats du 11 septembre 2001 sont passés par là. « Lorsque les avions se sont crashés dans les Twin Towers, je suis resté les yeux rivés sur la télé pendant 48 heures. Depuis, je ne suis jamais retourné dans la capitale du monde ».

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(Photo Patrick Blanchard)

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