Var-Matin (Fréjus / Saint-Raphaël)
Bouhlel, le dépravé
Instable, provocateur, sadique, narcissique et menant une vie dissolue à mille lieues de la doxa islamiste. Dragueur, harceleur, perturbé. Mais aussi brutal et avide de violence. Reconstitué par les enquêteurs au fil de leurs investigations, le profil psychologique du terroriste de la Prom’ est inquiétant, mais surtout insaisissable.
Une personnalité borderline. Un homme froid, pervers et obsédé par le sexe. Mais un fanatique religieux ? Bouhlel radicalisé ? Non, ont assuré aux magistrats et aux policiers tous ceux qui l’ont côtoyé. Non, jurent ses rares amis. Toujours non, confessent encore des membres de sa famille. Quatre ans d’enquête après, seuls d’imperceptibles signes et de faibles alertes relient le terroriste de Nice à l’idéologie de Daesh. Des signes qui apparaissent au plus près de l’attentat, à la fin juin. Bouhlel, « Uber-radicalisé », a-t-il été conduit sur ce chemin par un quelconque mentor ? Ou s’est-il fourvoyé dans ces effroyables thèses mu avant tout par son désir irrépressible de folie meurtrière ? C’est aussi ce que devra déterminer le procès… En attendant, une seule certitude, le monstre de Nice a minutieusement mûri, réfléchi, mais aussi préparé au cordeau son entreprise sanglante. « Il ne faisait pas le ramadan, il buvait de l’alcool, n’était pas du tout religieux », a martelé aux enquêteurs Asma, la soeur de Bouhlel. Ce qu’a confirmé Hajer, son ex-épouse [la procédure de divorce entamée en 2014 a été réglée après l’attentat, Ndlr], également sa cousine germaine et la mère de ses trois enfants : « Il n’a jamais prié, il mangeait du porc. »
« Il n’avait absolument aucun intérêt pour la religion, même s’il avait été dans une école coranique en Tunisie, à la place de l’école maternelle », a dit encore de lui un membre de sa proche famille aux magistrats instructeurs.
L’opportunisme de Daesh
Alors, comment celui qui a vécu une enfance chaotique et qui vivait une vie de couple émaillée de violence, a-il glissé vers cet acte inspiré, si ce n’est dicté, par l’État islamique ? Le mode opératoire rappelle les préconisations de Mohamed al-Adnani, le porte-parole de Daesh qui, dans une vidéo en septembre 2014, incitait les musulmans à assassiner les infidèles, en particulier les « sales Français », notamment au moyen d’un véhicule lancé à pleine vitesse.
Radicalisation express
Inconnu des services spécialisés en matière de lutte antiterroriste, condamné à six mois de prison avec sursis pour violences, mis en cause dans quatre procédures pour vol, violences, violences conjugales, etc. le chauffeur-livreur a basculé.
Si la revendication de l’attentat de Nice par Daesh apparaît tout opportune, l’enquête révèle cependant une appétence morbide du tueur de Nice pour les scènes d’ultraviolence, notamment celles de décapitation diffusées par Daesh. Des investigations qui démontrent aussi que Bouhlel avait pensé son acte bien longtemps avant… Un acte qui apparaît mûri, réfléchi et surtout hyper-préparé (lire en pages précédentes).
Un an avant sa tuerie, les enquêteurs ont retrouvé sur son ordinateur des images prises par lui-même montrant une foule sur la promenade des Anglais.
En janvier 2016, Bouhlel prend la photo d’un article sur une voiture qui avait délibérément foncé sur une terrasse à l’est de Nice. Et les investigations démontrent qu’il s’est renseigné sur les horaires des « fan zones » pour l’Euro 2016 de football. Il les avait pris aussi en photo pour les conserver. Étaient-ce les prémices de sa préparation, le début d’une envie encore peu aboutie ?
Une préparation qui s’est incontestablement accélérée à partir de la fin du mois de juin 2016. À peine un peu plus de quinze jours avant le 14 juillet.
Cette fois, le tueur au camion apparaît déterminé à opérer un massacre, et se manifestent les signes d’un lien, certes ténu, avec les thèses djihadistes.
Hamdi Zagar, dont le frère a épousé la soeur de Bouhlel, indique qu’à la fin juin 2016, le terroriste avait commencé à écouter le Coran. Celui qui pourrait aussi comparaître lors du procès raconte encore aux enquêteurs : «Un jour, j’ai mis des clips à la télévision chez moi. Mohamed m’a dit de ne pas mettre de la musique, que c’était un péché. »
Des vidéos en lien avec l’État islamique
En effet, depuis cette période, les enquêteurs dénichent dans l’ordinateur de Bouhlel des photos et des vidéos en lien avec le djihad, en lien avec Daesh, mais aussi des images sur les futures festivités du 14 juillet à Nice. L’analyse de son ordinateur révèle qu’il y écoutait également des sourates, des versets du Coran, lui qui n’avait jamais été religieux auparavant. Et durant ce laps de temps, Bouhlel avait même demandé à un ami de l’accompagner à la mosquée…