Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Guillaume Nicloux « LA TERREUR EST LE TERREAU PRINCIPAL DE L’ÉMOTION »

OEuvre radicale, La Tour plonge les spectateur­s au coeur de l’horreur en montrant les luttes d’habitants livrés à eux-mêmes, dans un endroit coupé du monde, où il est impossible de sortir. Un pur film d’horreur marqué par la personnali­té et le talent de s

- CÉDRIC COPPOLA magazine@nicematin.fr

À l’image de votre filmograph­ie, est marqué par “l’étrange”. Une thématique qui vous est chère ?

La Tour

Peut-être que mes premiers chocs et mon affection boulimique de lecteur/spectateur m’ont poussé immédiatem­ent vers ce genre qui m’éloignait de la réalité. L’étrange renvoie tout d’abord au merveilleu­x avec les films de Walt Disney que l’on découvre enfant… avant d’opérer un glissement progressif vers des terrains moins balisés comme la découverte du Ciné-club ou du Cinéma de minuit, avec des films en noir et blanc, parfois muets… Je pense donc que l’étrange reflète bien mon esprit.

Lorsqu’on accepte de se pencher à l’intérieur de soi, on se rend compte qu’on déplie une multitude de personnali­tés, que l’on peut décoller les unes des autres.

Une démarche certes intellectu­elle mais qui peut aussi être violente…

Oui. J’ai découvert tardivemen­t l’analyse mais de façon forte et violente. Si bien que j’ai intégré dans ma vie cette nouvelle expérience. Cela m’a permis d’élargir mon champ imaginaire en acceptant mes propres contradict­ions. Le droit de mentir, de se tromper et cette exploratio­n du genre se reflètent dans mon cinéma aussi bien dans le film noir, la comédie, le film politique… Autant de cadres de récit où il est possible de déplier la complexité des rapports humains. Dans La Tour, on assiste à une déshumanis­ation. On y voit des comporteme­nts qui se fracassent les uns aux autres, s’unissent (ou non) dans la haine et la violence. Ils sont générés par la peur, qui est le meilleur moyen de faire un voyage mouvementé. En entrant dans la salle, le spectateur en est conscient et signe un pacte. Personnell­ement, depuis l’enfance, je tends vers ce plaisir masochiste d’aller souffrir au cinéma. Je considère en effet que la terreur est le terreau principal de l’émotion.

Au fil de votre parcours, certaines rencontres : Gérard Depardieu, Michel Houellebec­q,

Gaspard Ulliel ont joué un rôle déterminan­t. Cependant ici vous vous entourez d’une troupe de jeunes comédiens. Quels facteurs ont motivé ce choix ?

J’aime travailler avec des gens qui m’inspirent, avec lesquels j’ai envie d’inventer. J’aime donc inventer avec Gérard Depardieu “un père cinéphiliq­ue”, Isabelle Huppert, Thierry Lhermitte avec lequel j’ai fait quatre films… J’ai aimé aussi inventer avec Gaspard Ulliel “un fils que je n’ai jamais eu”… Chacun a eu une influence sur mes films. Sur La Tour, c’était particulie­r puisque j’ai éprouvé le besoin de partir dans une autre direction, d’être déconnecté de tout ce que j’avais fait au préalable. Certes, j’ai tourné entre-temps Les Rois de l’arnaque pour le compte de Netflix mais ce n’était pas suffisant. Il fallait que je retrouve une certaine fraîcheur. Je vois cela comme une parenthèse.

On a aussi le sentiment que le scénario et le concept sont des passages obligés pour mettre en avant la mise en scène. Est-ce le cas ?

« Le film peut être malaisant mais en même temps, c’est ce qui le rend stimulant »

Le cinéma a cette particular­ité de nécessiter d’être lu pour être financé. C’est paradoxal et cela explique pourquoi mes premières oeuvres, qui n’étaient pas destinées à être diffusées et s’inscrivaie­nt dans un apprentiss­age, ont été écrites sous l’impulsion de l’écriture automatiqu­e, donc d’influence dadaïste et surréalist­e, où le rêve et l’impression comptaient beaucoup plus que la raison et la réflexion. J’ai retrouvé ce plaisir d’écriture il y a une dizaine d’années, ce qui a donné naissance à certains films comme The End ou L’Enlèvement de Michel Houellebec­q. L’idée est de voir ce qui se passe lorsque les comporteme­nts humains dictent l’histoire… et non l’inverse !

La Tour

est aussi un film hautement politique, qui critique le désoeuvrem­ent…

Je ne déteste pas l’idée que chacun puisse y voir, sous une strate plus souterrain­e, les maux d’une société qu’on est en train de toucher du doigt. J’essaie toujours de positionne­r le public à l’intérieur. Bien entendu, je suis conscient que ça peut causer des troubles chez les plus fragiles qui se retrouvero­nt face à leur propre angoisse. Le film peut être malaisant mais, en même temps, c’est ce qui le rend stimulant.

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