Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Denis Podalydès « S’ABANDONNER À L’ILLUSOIRE »

Tour à tour drôle et émouvant, l’acteur éclabousse par sa présence le pétillant La Grande Magie de Noémie Lvovsky. Un film musical, où il incarne un mari qui croit vivre dans un tour de passe-passe, après la disparitio­n, sous ses yeux, de son épouse.

- CÉDRIC COPPOLA magazine@nicematin.fr

La Grande Magie

est adaptée de la pièce de théâtre d’Eduardo De Filippo et prend la forme d’une comédie musicale. Cela a-t-il impacté votre jeu ?

On s’adapte naturellem­ent, sans se dire qu’on fait du théâtre ou du cinéma. En tant qu’acteur, je ne pense pas qu’on fasse vraiment une différence, si ce n’est que, dans une salle, on ressent forcément le public. Il faut aussi prendre en compte que j’avais joué cette pièce à la ComédieFra­nçaise en 2009. Noémie Lvovsky a eu l’idée d’adapter ce texte en assistant à l’une des représenta­tions.

Les nombreux changement­s effectués par Noémie Lvovsky vous ont-ils compliqué la donne ?

Il s’agit d’un spectacle et d’un rôle que j’avais adoré et, ayant pris de l’âge, j’imagine que le personnage a dû lui aussi vieillir en moi. Le retrouver sous une forme musicale m’a permis de m’en ressaisir avec tout ce qu’apporte le cinéma. En l’occurrence, un nouveau scénario, de nouveaux partenaire­s, de nouveaux lieux, des décors en extérieurs… Dès lors ça devenait une re-création vidée de vieux questionne­ments, qui n’ont plus d’intérêt. La pièce m’a tellement touché et l’histoire résonne en moi de manière si intime que je pense que je pourrais même reprendre encore ce rôle ! Ce film m’est cher, vraiment.

À quel point la partition musicale a réenchanté votre travail ?

Réenchante­r. Oui, c’est le mot. C’était inédit pour moi et cela représenta­it donc un grand bonheur et un gros travail qui a nécessité de longues répétition­s, parfois éprouvante­s. Le fait de chanter, jouer, d’être tous ensemble, de le faire en direct…

Il y a des moments qui tiennent un peu du miracle. Au début, je me trouvais ridicule et j’ai même demandé à Noémie de me trouver une doublure. Elle a refusé et on y est allé ! Aujourd’hui, je peux dire qu’elle avait raison. J’ai beaucoup appris.

Le film s’inscrit aussi dans la fantaisie. Un genre que vous

semblez affectionn­er au vu de votre carrière.

Oui ! Mais qui n’aime pas ça ? Déjà ce mot, “fantaisie” je l’adore ! Il a plein de petites connotatio­ns : il y a la fantaisie de la petite bêtise, celle du fantasme, de la folie, la fantaisie héroïque… Elle renvoie aussi à l’enfance, à Fantasia de Disney… C’est aussi une forme musicale. Tous ces sens m’ont toujours fait rêver.

Votre frère, le réalisateu­r Bruno Podalydès, a un rapport très particulie­r à la magie. Avez-vous discuté de ce projet avec lui ?

Bien sûr ! Il avait vu la pièce et il est très savant dans ce domaine. Il connaît de nombreux tours, c’est un vrai magicien ! Il fait des petits spectacles que je suis allé voir avec mes enfants, c’était impression­nant ! Son regard est très profession­nel. Je sais qu’il apprécie beaucoup ce texte. Il aurait même aimé en signer l’adaptation. Mais bon, il adore Noémie. Donc ça va…

Votre personnage, Charles, croit justement qu’il vit dans un tour de magie et fuit la réalité. Cela ne renvoie-t-il pas finalement à votre métier d’acteur ?

Effectivem­ent. Il est question du pouvoir de l’illusion et plus précisémen­t de consentir à s’abandonner, à quelque chose de parfaiteme­nt illusoire, d’y consacrer presque totalement sa vie. On y voit de nombreux croisement­s entre le réel et l’imaginaire, et Charles découvre finalement l’amour après la disparitio­n de son épouse.

Votre vie semble consacrée entièremen­t à votre art. Quel a été votre secret pour arriver à interpréte­r et mettre en scène autant de textes au théâtre, notamment à la ComédieFra­nçaise, et jouer dans de nombreux films, toujours avec ce profession­nalisme et ce souci du

détail ?

Ce n’est plus du tout le cas à présent, mais j’ai longtemps eu une véritable angoisse du vide ! À 20 ans, j’avais l’impression qu’il ne m’arriverait rien, que la vie passait au loin et que je n’étais pas dans le coup. Ce sentiment m’a longtemps poursuivi et, même en étant à la Comédie-Française, où j’avais des dates d’une saison sur l’autre, je ne me sentais pas en sécurité. J’y étais heureux. J’aimais l’outil de travail, l’équipe et l’alternance – je suis très attaché au fait de ne pas jouer tous les jours –, de retrouver un rôle chaque semaine… Aujourd’hui, je m’achemine vers une sortie mais, en ayant passé 26 ans dans cette institutio­n, j’ai du mal à arracher les racines ! Alors je m’interroge car je cherche à donner plus de temps à la vie. J’ai une femme et des enfants encore petits, je suis très heureux dans ma vie familiale et j’ai envie d’être davantage présent. Or, la Comédie-Française mange le temps… et comme j’y ajoutais du cinéma, il n’y en avait plus du tout !

« Il y a des moments qui tiennent un peu du miracle. Au début, je me trouvais ridicule »

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France