Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

« Nous sommes témoins d’un crime »

Lanceuse d’alerte comme son grand-père, le Commandant Cousteau, la cinéaste Céline Cousteau a tenu une conférence au Musée océanograp­hique de Monaco sur l’urgence environnem­entale.

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIBAUT PARAT

Lanceurs d’alerte depuis trois génération­s. Voilà des décennies que la famille Cousteau sonne l’alarme sur l’inexorable dégradatio­n de la Terre, observée lors de moult exploratio­ns en mer comme sur terre. D’abord, JacquesYve­s, l’infatigabl­e « Commandant » au bonnet rouge de La Calypso.

Puis, le fils, Jean-Michel. Et, enfin, la petite-fille Céline, 49 printemps. Un cri venu des tripes que relate la cinéaste documentar­iste, engagée auprès des peuples d’Amazonie, dans son dernier livre Le monde après mon grand-père. Dans un récit personnel entrecoupé de souvenirs d’enfance, de faits et données chiffrées, elle caresse l’espoir que tout un chacun rejoigne sa cause : la sauvegarde de notre planète. Nul besoin d’être né écologiste pour cela. Ce jeudi au Musée océanograp­hique – que le Commandant Cousteau a dirigé de 1957 à 1988 – Céline Cousteau a été conviée

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pour parler urgence environnem­entale. Rencontre.

Votre livre sonne comme un cri d’alarme, un appel à agir. L’urgence est-elle là ?

Oui, on se le répète depuis bien longtemps mais cela fait partie de la survie de l’être humain de ne pas répondre tout de suite.

Pour bien des gens, la réalité, ce sont les problèmes du quotidien. Le réchauffem­ent climatique, la disparitio­n des espèces, cela paraît lointain pour beaucoup.

Les solutions doivent donc être accessible­s, à l’instar de mon livre que je ne voulais pas anxiogène. Il faut parler de la problémati­que environnem­entale sans que cela paralyse mais en inspirant les gens, grâce à la beauté des histoires et de la planète.

Alerter des menaces qui pèsent sur notre planète, c’est une affaire de famille ?

Oui (rires). Quand on a été imprégné de cela, difficile de détourner l’oeil. Je n’aurais pas pu faire autre chose. Je suis heureuse de contribuer d’une façon positive, de soutenir des causes et associatio­ns. Beaucoup de gens essayent de lutter.

Comme votre grand-père au sommet de la Terre à Rio en , vous avez toutefois l’impression de « crier dans le vide ».

Comment expliquez-vous cette apathie ?

L’étude du Bystander Effect [effet du spectateur] explique la mentalité de masse. Les gens pensent qu’ils n’ont pas besoin d’agir parce que d’autres le font à leur place. Il faut penser autrement. Bien sûr, arrêter à son échelle l’usage de plastiques ne sauvera pas la planète. Toutefois, chacun doit penser qu’on fait partie d’une communauté globale, d’une unité. Chaque personne compte.

Nous sommes témoins d’un crime et nous ne faisons rien. Celui-ci n’est pas vu aussi clairement qu’un meurtre. Nos yeux sont loin de l’extinction des espèces, du massacre des peuples indigènes et des forêts… Je ne sais pas d’où vient ma force, mais je sais que ce que je fais compte.

Selon vous, on est déconnecté de ce qui nous fait vivre, respirer, de ce qui nous nourrit.

Comment se reconnecte­r ?

Poser le téléphone, de temps en temps, déjà. Marcher pieds nus dehors, aller visiter de petites fermes où l’agricultur­e est raisonnée. Il faut soutenir ces gens. Même en ville, il y a de la nature, des parcs. Il faut prendre un moment et respirer. Ce calme et cette respiratio­n infiltrent notre corps par tous nos pores.

Voyez-vous la pandémie de Covid comme une opportunit­é ?

Pour moi, ça l’a été. J’ai moins voyagé et donc eu moins d’impact carbone sur la planète. Plein de gens, sans cesse dans les avions, ont pu respirer, faire une pause. Mais il ne faut pas que l’on soit impatient de revenir à la norme, car celle-ci (la surconsomm­ation, l’accès à tout…) n’est pas bénéfique.

C’est dommage qu’il faille une situation si extrême pour que les conscience­s se réveillent…

Un glaciologu­e me disait que l’être humain réagit toujours quand il est dos au mur. Or, c’est trop tard quand on parle du réchauffem­ent climatique. Cette pandémie nous a foutu une baffe, nous a alertés, nous a montré qu’on est tous liés. On a un futur en commun : celui de la survie de notre planète. Pourquoi ne le comprend-on pas ? En Amazonie, les peuples indigènes protègent d’énormes territoire­s nous permettant de respirer. Ça compte pour eux, pour nous aussi.

Quel rôle a joué votre grandpère, et tous les autres, dans cette sensibilit­é à la sauvegarde de la planète ?

J’ai grandi dans une famille d’explorateu­rs, de réalisateu­rs de documentai­res qui sont devenus des défendeurs de l’environnem­ent. Chez moi, on parlait toujours de ça. C’était naturel. Mon grand-père, bien sûr, a été la figure connue mais il n’est pas le seul à m’avoir influencé. Ma mère, aussi, partait en expédition comme photograph­e. Je n’ai pas été forcée à faire ce que je fais aujourd’hui. C’est une passion, une façon de vivre et de penser. Pas un travail.

Vous dites qu’il n’est pas né écologiste. C’est-à-dire ?

Au début de sa carrière, c’était l’exploratio­n sous-marine, la curiosité de voir ailleurs, de comprendre. C’est cela qui peut nous motiver à devenir écologiste. Il l’est devenu car il a été témoin de ce qu’il se passait sur la planète.

Il avait une place dans l’oeil public pour en parler.

L’écologie devrait plutôt rentrer dans le droit social, le droit humain. Pas nécessaire­ment dans la politique.

Quel monde voulez-vous laisser à votre fils, Félix, et à ses pairs ? Un monde comme je l’ai trouvé il y a  ans. Un monde dans lequel il peut vivre et non pas survivre. J’ai peur de l’accélérati­on des problèmes qui vont obliger sa génération à devoir s’adapter plus vite que nous aux sécheresse­s, au dérèglemen­t climatique. J’ai peur pour sa génération. À l’âge de  ans, on ne devrait pas être anxieux pour l’environnem­ent, on ne devrait pas manifester.

Ils n’ont pas besoin de faire des études d’écologie pour comprendre les enjeux. 1. Par le Comité d’entraide des Français de Monaco et l’Union de la presse francophon­e Monaco.

‘‘ Il n’est pas né écologiste”

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(Photo Van Alphen Visuals et DR)

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