Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)
Sidération : disjoncter pour survivre... Et puis ?
Psycho Face à la violence de l’événement subi, le cerveau disjoncte, ce qui va le sauver. Mais ce phénomène va créer une mémoire traumatique. La traiter pour continuer de vivre
Fondatrice en 2009 de l’association Mémoire traumatique et victimologie, la psychiatre Muriel Salmona proposait le 14 avril dernier dans le Var, une conférence sur le thème : « Sidération, dissociation et mémoire traumatique » (1).
Pourquoi est-il si important de comprendre et informer sur les psychotraumatismes ? Ces troubles psychotraumatiques, et plus particulièrement la sidération, la dissociation et la mémoire traumatique expliquent en grande partie les conséquences du traumatisme et les réactions des victimes. Leur méconnaissance participe à l’abandon des victimes sans soutien, leurs réactions étant mal interprétées, voire reprochées.
Qu’entend-on précisément par sidération ? La sidération est une effraction psychologique, liée à la violence subie, qui va paralyser les fonctions d’intégration supérieures, comme on peut le visualiser sur les IRM. Ce processus empêche la victime de réagir, de crier ou de se débattre, ce qui peut la mettre sous l’emprise de l’agresseur – et qui peut parfois lui être reproché –, alors que c’est un mécanisme normal, qui va la sauver.
Selon quel processus ? Un stress extrême représente un véritable tsunami, avec des sécrétions d’hormones de stress, adrénaline, cortisol qui représentent un risque vital pour l’organisme. On pourrait mourir de stress, si le cerveau ne mettait en place un mécanisme de sauvegarde exceptionnel qui va faire disjoncter le système, un peu comme dans un circuit électrique, pour éviter que tous les appareils grillent. Il se crée une anesthésie émotionnelle, un arrêt de la sécrétion du cortisol, par disjonction. La personne survit, mais elle est déconnectée.
Mais cette sidération va aussi avoir des effets pervers ? Oui, dans la mesure où elle empêche aussi les fonctions supérieures de contrôler une émotion qui est déclenchée par la violence, et qui va ainsi monter en puissance. C’est cette fameuse mémoire traumatique, qui explique que les victimes vont se retrouver hantées par les violences, confrontées à des réminiscences, des flash-back… Elles vont revivre l’événement à l’identique, avec les mêmes émotions, la même
douleur, la même terreur. En résumé, la disjonction induite par la sidération va créer une dissociation, une anesthésie – c’est l’effet recherché –, mais induit aussi une mémoire traumatique, qui ne va pas être intégrée normalement.
Quelles vont en être les traductions concrètes ? Si les victimes ne sont pas traitées, protégées, elles vont devoir échapper à cette mémoire traumatique comme elles peuvent ; soit en ne faisant plus rien, ce sont les fameuses conduites phobiques, d’évitement… Soit elles vont chercher à s’anesthésier à nouveau, pour ne pas ressentir le stress ; chez % des victimes, on retrouve ainsi des conduites addictives, à risque ; elles vont générer un stress pour pouvoir disjoncter. Autour d’elles, on dit d’elles qu’elles ont des comportements bizarres, étranges… En fait ce sont des conséquences universelles, logiques, normales.
Comprendre que ces réactions sont normales est essentiel dites-vous… Oui, dans la mesure où les personnes traumatisées souffrent d’autant plus de leurs symptômes psychotraumatiques que ceux-ci leur apparaissent comme totalement aberrants et inappropriés. Cela participe à l’installation chez les victimes de sentiments de culpabilité, de honte, de perte d’estime de soi et de dépersonnalisation qui aggravent le pronostic et sont à l’origine de risques suicidaires et de décès précoces. De même cette incompréhension se retrouve chez leurs proches et les professionnels qui les accompagnent, ce qui renforce l’isolement des victimes, leurs mises en cause et entraîne de nombreuses situations de maltraitances, d’injustices et de prises en charge inadaptées.
Vous n’hésitez pas à désigner les psychotraumas comme un problème de santé publique majeur... Ils ont un impact sur la santé mentale mais aussi physique, cardiovasculaire… Ils sont le déterminant principal de la santé dans les cinquante
ans à venir, capables de faire diminuer l’espérance de vie de vingt ans, avec un risque de décès précoce, si on ne traite pas, si on laisse les victimes rester seules avec ces troubles. Il est essentiel de décrypter les mécanismes neurobiologiques et psychologiques en jeu dans la sidération, la dissociation péritraumatique, la mémoire traumatique, l’amnésie post-traumatique et les stratégies de survie (conduites d’évitement et conduites à risque dissociantes). Outre l’intérêt scientifique, c’est un enjeu majeur pour améliorer la prise en charge sociale, judiciaire et médicale, ainsi que le traitement psychothérapeutique des personnes traumatisées.
1. Cette conférence se déroulait dans le cadre de Transmem, une formation proposée par le CNRS et qui rassemble autour d’un même projet pédagogique plusieurs communautés de chercheurs travaillant sur la mémoire.
«Des comportements étranges... universels ! » Muriel Salmona Psychiatre