Var-Matin (Brignoles / Le Luc / Saint-Maximin)

Sauvetage contre la tragédie

Près de cent migrants se noient chaque semaine dans la Grande Bleue. L’ONG SOS Méditerran­ée refuse cette fatalité. Nous avons passé douze jours à bord de l’Aquarius

- Photos : PATRICK BAR/SOS MÉDITERRAN­ÉE

Refuser la fatalité. Ne pas accepter que des hommes, des femmes, des enfants, des bébés, continuent de se noyer en Méditerran­ée. Voilà l’ambition simple, intime, des humanitair­es de l’Aquarius, bateau affrété par l’organisati­on non gouverneme­ntale SOS Méditerran­ée et Médecins sans frontières. Cette initiative citoyenne, franco-allemande, rejointe par l’Italie, a vu le jour il y a un peu plus d’un an. « La situation reste absolument critique», s’alarme Sophie Beau, cofondatri­ce du projet avec Klaus Vogel. «La priorité absolue de tous les États, de toutes les agences et de toutes les institutio­ns européenne­s doit être la préservati­on de la vie humaine ; des milliers de vies en dépendent. » Chaque semaine, en moyenne, près de cent migrants se noient en Méditerran­ée. Bien plus l’été, propice aux départs, que l’hiver. L’année 2 016 a été la plus tragique, la plus meurtrière de cette crise migratoire, avec 5079 morts. L’Aquarius, lui, peut se targuer d’avoir sauvé 15 022 personnes. Hélas, ces statistiqu­es, froides, rendent peu compte de la réalité de la situation. Derrière ces chiffres, se cachent des vies, des familles. C’est pour cela que Var-matin a souhaité embarquer sur l’Aquarius. Pour mettre des noms sur les visages, et des mots sur les destins de ces boat people du XXIe siècle.

  migrants envoyés sur l’eau en moins de h

Notre quotidien a, depuis des années, consacré de nombreux sujets à ces migrants qui errent en Europe, et que l’on retrouve à la frontière franco-italienne, à Menton. Nous avons voulu comprendre leur parcours. Le bilan est terrible. Mare nostrum, « notre mer », est devenue leur cimetière marin. Cet hiver, seul l’Aquarius se trouvait en Méditerran­ée. Certes, les conditions météo hivernales sont moins propices aux traversées de migrants, envoyés sur des engins de fortune par des passeurs sans scrupule. Mais les départs continuent. La preuve : ils ont été 521 à se noyer entre le 1er janvier et le début mars. Et quand ils refusent de partir sur ces coquilles de noix, ils sont abattus sur la plage par les passeurs. Ce fut le cas de 22 d’entre eux, le 4 mars dernier, près de Tripoli. Ces migrants venus du Mali, de Guinée, d’Érythrée, de Gambie, fuient la guerre, la dictature, l’État islamique, la famine, la persécutio­n. Certains ont passé des années dans les geôles libyennes. C’est justement en face de la Libye, carrefour des migrations, que patrouille l’Aquarius. C’est là que nous avons pu constater l’incroyable réalité. Le week-end dernier, après une semaine de tempête, les passeurs ont envoyé sur l’eau 3000 migrants en moins de 24 heures ! Lâchés avec, en tout et pour tout, dix heures d’autonomie en carburant là où il faudrait plusieurs jours pour rejoindre Lampedusa ou la Sicile. Un aller simple pour la mort. Sans l’engagement de l’Aquarius, et de quelques autres ONG, le bilan serait plus catastroph­ique encore. Patrick Bar, ancien photograph­e de Nice-Matin et Var-matin, travaille désormais pour SOS Méditerran­ée. Nous avons passé douze jours sur le bateau aux côtés de celui qui a couvert la crise des boat people en 1988 et 1989, en mer de Chine. « C’est fort de penser que ces personnes préfèrent prendre le risque de mourir plutôt que de rester. Malgré ces trente années d’écart avec le Viêt Nam, je vois beaucoup de similitude­s. Dans les deux cas, ce sont les citoyens qui se mobilisent. Ces gens paient des fortunes à des passeurs, sans aucune certitude d’y arriver.» Un voyage au bout de l’enfer. Envoyé spécial sur l’Aquarius : GRÉGORY LECLERC

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 heures, samedi dernier. Les projecteur­s de l’Aquarius arrachent soudain le frêle esquif au noir profond de la nuit. Passer à côté revient à les condamner à une mort quasi certaine...
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