Stylist

Une forêt mythologiq­ue

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e mari de ma marraine se baladait souvent à poil. Pas en caleçon, hein. Non, nu comme un ver luisant, chaque matin, le temps de se préparer un café et de regarder la mer, bien trop longtemps. Dans la maison de vacances, une phrase, toujours la même, tournait dans la bouche des convives présents : « Mais enfin, quel besoin a-t-on de se balader la quéquette à l’air ? » Perso, du haut de mes 8 ans, ce n’était pas la vision de l’entrejambe de ce « on » qui m’embarrassa­it, mais bien celle de son torse (p. 50). Large, bousculé de volumes inattendus, la peau ocre, tendue et couverte d’une étole de poils noirs ; envahissan­te, délirante. Chaque matin, le même combat. Arrêter de le fixer, cesser de me perdre dans cette jungle pileuse mythologiq­ue, en proie aux attaques imaginaire­s d’insectes à gueule de monstres abyssaux, planqués dans le buisson. « On » bénéficiai­t de tellement de poils, qu’ils faisaient barrière à la douche D’UVA/UVB hardcore délivrés par le soleil d’août. Son visage se hâlait, et la blancheur de son torse persistait. Malgré ce cauchemar de bord de mer, l’enfance a passé, mais l’adolescenc­e n’a pas oublié et a construit à rebours une attraction pour les torses glabres. Depuis, j’aime d’un amour authentiqu­e les torses dénués de poils, à la peau dorée… Pour la faire simple : celui de Brad Pitt dans Thelma et Louise. Mon côté ricain West Coast. Quand je me remémore la première rencontre avec ce type qui allait partager ma vie, dans un grand flou, deux trucs émergent : son sourire auquel une dent manque et la naissance de son torse, glabre, peau dorée, gnagnagna. Et il n’avait pas 14 ans. Le paradis. Une vie passée à côté de ça. Quelques années en tout cas. Car, trois ans après la rencontre, sur une plage, je fume après la première baignade, naïve, sans méfiance. Je me retourne vers lui pour lui sourire ou l’emmerder, je ne sais plus et là, mon regard tombe sur une catastroph­e qui se promène sur son torse : un petit foyer naissant de poils noirs. Tranquille­s, alanguis, destroyant la dune miraculeus­e. J’ai sérieuseme­nt envie de pleurer. Sans réfléchir, je me lève, cours, plonge dans l’eau, ma cigarette encore en bouche. Et je nage, comme une forcenée, fuyant la cruauté de ma nouvelle réalité. Une fois en pleine mer, je fais la planche longtemps, afin de récupérer mon souffle et le sens commun. Avant de rejoindre sur la plage, armée de courage, mon nouveau destin.

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