ERMITES MODERNES
Plus besoin de traverser la rue pour trouver un travail ni de risquer un empoisonnement à la baie sauvage en pleine forêt pour opérer un retrait efficace de la société humaine: c’est ce qu’a voulu montrer la photographe russe Natalia Ershova avec sa série Journey to the Edge of the Room, dont les protagonistes, grâce à un écran d’ordinateur et une bonne connexion internet, vivent une existence presque normale en ne mettant tout simplement plus un pied dehors. Une situation que cette ancienne étudiante en journalisme a elle-même subi durant tout un hiver, la contraction d’une maladie neurologique lui interdisant alors tout contact avec le froid. “Pendant cette période de convalescence, mes seules interactions étaient avec mon mari et sur les réseaux sociaux. J’y ai rapidement découvert que d’autres personnes restaient volontairement enfermées chez elles.” Remise sur pied, Natalia décide de partir à la rencontre de ces ermites moscovites et de leurs chambres-mondes, souvent peuplées de beaucoup de chats –“les chiens, il faut les sortir”. Vente d’objets artisanaux en ligne, web design, tests de jeux vidéo, retouche photo, traduction… les activités professionnelles prenant place au sein de l’espace virtuel sont régulièrement précaires, tout comme les conditions nécessaires à un bon fonctionnement cognitif: “La plupart sont soutenus financièrement par leurs proches. Il y a le cas de cet ermite qui vit sur l’argent de sa femme, qui est actrice porno. J’ai remarqué que leurs comportements étaient souvent superficiels, figés, avec une capacité d’attention à une conversation orale extrêmement limitée. Ce mode de vie, rendu possible depuis l’arrivée d’internet, est finalement une prison que ces personnes se sont construite pour elles-mêmes.”