“Il faut placer le sujet au centre du jeu”
Cyril Dion
Écrivain et réalisateur, a notamment coréalisé le film Demain avec Mélanie Laurent, César du meilleur documentaire en 2016, et publié Petit
manuel de résistance contemporaine (Actes Sud) en 2018.
“La réponse face au problème du changement climatique ne peut pas être uniquement de sonner l’alerte: il faut pouvoir tracer une autre voie. Les faits sont désormais connus, mais à moins d’une grande catastrophe nous touchant directement, ce ne sont pas eux qui nous feront changer les choses. Ce sont les récits qui ont ce pouvoir. Quand le couple Reagan-thatcher était aux manettes dans les années 80, il avait un agenda politique très clair: prendre le pouvoir sur l’imaginaire, en même temps que sur la politique, l’économie... Au cours des décennies précédentes, il y avait eu un fort mouvement culturel remettant en question la société de consommation et le matérialisme: les beatniks puis les hippies, 20 millions d’américains dans la rue pour la création du jour de la Terre en 1970, Carter qui installe des panneaux solaires sur le toit de la Maison-blanche et annonce la révolution des énergies renouvelables… Tandis qu’en France, on assistait à la première candidature écolo à une élection présidentielle avec René Dumont, en 1974. Puis, il y a eu ce grand virage néolibéral, qui s’est aussi appuyé sur un certain nombre d’oeuvres cinématographiques –c’est l’époque de La Couleur de l’argent avec Paul Newman, de Wall Street avec Michael Douglas ou même des films d’eddie Murphy, comme Un prince à New York, qui portent tous à leur façon ce contexte de fric et de flambe, les grands hôtels et les années golden boys. Aujourd’hui, ce qui est encourageant, c’est que le changement culturel autour de la question climatique s’opère un peu partout: dans les objets traditionnels de la pop culture, du cinéma, de la littérature ou de la musique –un blockbuster comme Avatar qui raconte la nécessité de se reconnecter au vivant, le roman postapocalyptique Dans la forêt de Jean Hegland qui connaît un gros succès de librairie, par exemple, avec près de 200000 bouquins vendus en France, et qui va être adapté en série–, mais aussi à travers les mobilisations dans la rue. Il y a de plus en plus de gens qui veulent s’interposer entre la nature et ceux qui la détruisent, il y a des manifs avec des lycéens qui sèchent leurs cours le vendredi. Le mouvement actuel des marches pour le climat sert à ça, à tenir le crachoir pour placer le sujet au centre du jeu et le rendre incontournable à l’opinion publique.”