Charles de Courson
En comparant la loi anticasseurs du gouvernement au régime de Vichy, le député centriste Charles de Courson s’est offert ce que l’on appelle un beau buzz. Lui maintient le fond, et la forme: “Il faut taper fort pour réveiller les consciences.”
Le député a créé le buzz à l’assemblée en comparant la loi anticasseurs du gouvernement au régime de Vichy. Une semaine plus tard, il ne regrette rien, et explique pourquoi.
Vous avez eu des mots très durs sur la loi anticasseurs, osant une comparaison avec le régime de Vichy. Je pense que l’article 2 de cette loi, qui permet aux préfets d’interdire à quelqu’un de manifester, est anticonstitutionnel, qu’il représente une atteinte grave aux libertés. Dans le texte, on n’a même pas précisé les éléments sur la base desquels doit se fonder un préfet pour estimer qu’une personne est dangereuse! Il lui faut ‘des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace’. Non mais attendez, où va-t-on? C’est pour ça que j’ai dit que l’on se croyait sous le gouvernement de Vichy! Vous savez ce que c’est, Vichy? C’est d’abord suspendre le Parlement, pour ensuite transférer une partie des pouvoirs de l’autorité judiciaire à l’autorité administrative. Mes propos ont choqué, y compris parmi ceux qui partageaient mon analyse. Mais je leur ai expliqué que parfois, il fallait taper fort pour réveiller les consciences. L’idée, ce n’était pas de dire que le gouvernement, c’est Vichy. Mais qu’il se donnait les mêmes outils. Jamais je n’accepterai que l’on donne aux préfets de tels pouvoirs! Et ma fierté, c’est que 50 membres de La République en marche se sont abstenus. Vous dites que cet article est anticonstitutionnel. Existe-t-il une chance, d’après vous, pour qu’il soit retoqué par le Conseil constitutionnel? À la suite de mon intervention, la présidente du groupe socialiste est venue me voir. Elle m’a demandé: ‘Charles, est-ce que vous seriez prêt à cosigner un recours devant le Conseil?’ J’ai dit oui et en réunion, la quasi-totalité de mon groupe (Libertés et territoires, centriste, ndlr) a décidé qu’elle le cosignerait. Pour déposer un recours, il faut être 60 parlementaires. On le sera. La loi va d’abord retourner au Sénat et après, ça reviendra à l’assemblée, et donc je l’ai dit à Christophe Castaner: on ira au Conseil constitutionnel et on verra qui gagnera!
La vidéo de votre intervention a été reprise partout. Vous êtes d’ordinaire un député plutôt technique, plus connu pour vos connaissances des questions budgétaires que
vos coups d’éclat… Les gens aiment bien vous enfermer dans des cases. Ils se disent: ‘De Courson, c’est le budget’, et voilà, ils n’en sortent pas. Alors oui, je m’intéresse aux finances publiques, mais pas seulement. Après mon intervention, beaucoup de gens sont venus me féliciter, y compris dans la majorité –et pas des moindres… D’autres m’ont écrit. J’ai été bluffé par la résonnance que ça a eu. Ce jour-là, au micro, j’ai improvisé. Mais j’étais déjà allé dire la même chose en commission des lois à Castaner. Je lui avais dit: ‘Votre texte, il est inutile car ces dispositifs existent déjà. La différence, c’est que vous supprimez l’autorité judiciaire!’ Et aussi: ‘Vous passerez, monsieur le ministre, et d’autres viendront! Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles certains de vos successeurs, notamment d’extrême droite ou d’extrême gauche, sauront utiliser ce genre de dispositif contre leurs adversaires.’ Et ça, c’est inexcusable!
La loi sur l’état d’urgence, votée fin 2017, permet déjà aux préfets de prendre des mesures similaires, autrefois réservées aux magistrats… Oui, c’est tout à fait exact. Mais on n’est pas en état d’urgence, à moins de considérer que les Gilets jaunes sont des terroristes! La limitation des libertés publiques, en cas d’insurrection, peut se justifier temporairement et de façon encadrée. Mais là, l’état d’urgence est terminé, et depuis longtemps. Le gouvernement veut nous faire croire que pendant certaines manifestations des Gilets jaunes, les violences ont eu lieu parce qu’il n’avait pas les outils juridiques. C’est faux, puisqu’il y a l’article 78-2, deuxième paragraphe du Code de procédure pénale sur réquisitions du procureur de la République. Quant à la suppression du droit de manifester, c’est une peine complémentaire qui existe déjà dans le Code de la sécurité intérieure –l’article L211-13–, mais c’est le juge qui décide! La vérité, c’est que le ministre de l’interieur a mal géré les premières manifestations des Gilets jaunes.
C’est-à-dire? Les trois premières manifestations, c’était ni fait ni à faire! Quand vous faites une ligne Maginot pour protéger l’élysée, qu’est-ce qui se passe? Eh bien ça casse à l’extérieur du périmètre. Monsieur Castaner s’est retrouvé ministre de l’intérieur alors qu’il n’est pas spécialiste des questions de maintien de l’ordre, et donc il a fallu trois manifestations pour qu’il commence à comprendre que face à des petits groupes mobiles, il faut des groupes mobiles. Cette loi, ça va se retourner contre lui, comme la déchéance de nationalité avec François Hollande.
Vous aviez voté contre? Bien sûr que j’avais voté contre! J’avais castagné Hollande quand il nous avait fait croire –il nous avait annoncé ça à Versailles– qu’on allait combattre les terroristes en leur supprimant la nationalité. Mais c’était à pleurer! Je me rappelle tous les Républicains qui applaudissaient –Christian Jacob en tête, qui déclarait que c’était formidable! Qu’est-ce que j’en ai castagnés, à ce moment-là! Je leur ai dit: ‘Mon père et mon grand-père se retourneraient dans leur tombe en voyant ça!’
Vous évoquez souvent le souvenir de votre grand-père et de votre père, et vous le faites toujours avec beaucoup d’émotion… Bien sûr. Mon grand-père, le député Léonel de Moustier (arrêté en 1943 par la Gestapo,
déporté et mort en détention, ndlr), est le seul homme de droite à avoir voté contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Pourquoi? Parce que c’était un républicain qui pensait qu’en votant la réforme constitutionnelle, le fameux article 4, on sabordait la République. Il avait toujours été anti-pétainiste, et ce, bien avant que Pétain ne devienne chef de l’état. Et il a rejoint la résistance tout de suite. Pierre Laval a essayé de le faire chanter, il l’a menacé en lui indiquant que son vote pourrait nuire gravement à ses intérêts industriels. Mon grand-père lui a répondu qu’il ne céderait jamais parce que c’était une question d’honneur. Et il a tourné les talons. Le lendemain, il est allé voter en uniforme –il était commandant– contre le projet de réforme constitutionnelle . Et en sortant, il a lancé à la cantonade: ‘Pétain est un traître,
il faudra le fusiller.’ On lui a dit: ‘Léo, ils vont t’arrêter.’ Il a répondu: ‘J’en n’ai rien à faire.’
La crise des Gilets jaunes est aussi le symptôme d’une crise de confiance dans la politique. En 26 ans de mandat, avez-vous ressenti une aggravation de la situation? Oui, très nettement. Moi, je dis depuis longtemps à mes collègues: ‘Est-ce que vous avez conscience que 75% des Français pensent que vous êtes des menteurs et des voleurs?’ La vérité, c’est qu’il y a 4 ou 5% de fripouilles, pas beaucoup plus que chez les hommes d’affaires… Mais la spécificité, c’est qu’ils ont été très peu ou pas sanctionnés. Toutes ces affaires –Tapie, Cahuzac– ont miné la confiance des gens. Cahuzac était quand même ministre du Budget en charge de la lutte contre la fraude à ce momentlà! Et moi, j’ai été très dur avec eux (Il est l’auteur d’un rapport parlementaire contestant l’arbitrage favorable à Bernard Tapie et il a été en charge de la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac, ndlr). Il faut toujours se demander pourquoi on est haï. Prenez les banquiers, qui sont détestés eux aussi. Au début de la crise de 2008, Sarkozy avait fait venir quelques parlementaires pour nous demander notre analyse. Je lui avais dit qu’il fallait prendre des mesures immédiates, soutenir les banques pour éviter qu’elles ne s’effondrent, mais qu’en contrepartie, il fallait limiter la rémunération de ceux qui avaient amené le système là où il était, c’est-à-dire les dirigeants des banques, à 40 ou 50 000 euros par mois. Merkel l’a fait, elle a plafonné les salaires. Sarkozy, non.
Interrogé par un étudiant qui a repris vos propos sur Vichy, Christophe Castaner lui a répondu en rappelant que vous étiez contre le mariage pour tous, mettant ainsi en doute votre attachement aux libertés. Castaner ne sait sans doute pas que j’étais pour un contrat d’union civile avec les mêmes droits que pour les mariés hétérosexuels à l’exception des questions de filiation. Ce n’est donc pas la position d’un affreux réactionnaire. Je peux vous dire que dans la défense de ce texte, le ministre de l’intérieur n’a pas été brillant. Et donc, si son seul argument face aux miens, c’est ça, c’est à mourir de rire!
“Castaner, cette loi, ça va se retourner contre lui, comme la déchéance de nationalité avec François Hollande”