Society (France)

Charles de Courson

En comparant la loi anticasseu­rs du gouverneme­nt au régime de Vichy, le député centriste Charles de Courson s’est offert ce que l’on appelle un beau buzz. Lui maintient le fond, et la forme: “Il faut taper fort pour réveiller les conscience­s.”

- EMMANUELLE ANDREANI –

Le député a créé le buzz à l’assemblée en comparant la loi anticasseu­rs du gouverneme­nt au régime de Vichy. Une semaine plus tard, il ne regrette rien, et explique pourquoi.

Vous avez eu des mots très durs sur la loi anticasseu­rs, osant une comparaiso­n avec le régime de Vichy. Je pense que l’article 2 de cette loi, qui permet aux préfets d’interdire à quelqu’un de manifester, est anticonsti­tutionnel, qu’il représente une atteinte grave aux libertés. Dans le texte, on n’a même pas précisé les éléments sur la base desquels doit se fonder un préfet pour estimer qu’une personne est dangereuse! Il lui faut ‘des raisons sérieuses de penser que son comporteme­nt constitue une menace’. Non mais attendez, où va-t-on? C’est pour ça que j’ai dit que l’on se croyait sous le gouverneme­nt de Vichy! Vous savez ce que c’est, Vichy? C’est d’abord suspendre le Parlement, pour ensuite transférer une partie des pouvoirs de l’autorité judiciaire à l’autorité administra­tive. Mes propos ont choqué, y compris parmi ceux qui partageaie­nt mon analyse. Mais je leur ai expliqué que parfois, il fallait taper fort pour réveiller les conscience­s. L’idée, ce n’était pas de dire que le gouverneme­nt, c’est Vichy. Mais qu’il se donnait les mêmes outils. Jamais je n’accepterai que l’on donne aux préfets de tels pouvoirs! Et ma fierté, c’est que 50 membres de La République en marche se sont abstenus. Vous dites que cet article est anticonsti­tutionnel. Existe-t-il une chance, d’après vous, pour qu’il soit retoqué par le Conseil constituti­onnel? À la suite de mon interventi­on, la présidente du groupe socialiste est venue me voir. Elle m’a demandé: ‘Charles, est-ce que vous seriez prêt à cosigner un recours devant le Conseil?’ J’ai dit oui et en réunion, la quasi-totalité de mon groupe (Libertés et territoire­s, centriste, ndlr) a décidé qu’elle le cosignerai­t. Pour déposer un recours, il faut être 60 parlementa­ires. On le sera. La loi va d’abord retourner au Sénat et après, ça reviendra à l’assemblée, et donc je l’ai dit à Christophe Castaner: on ira au Conseil constituti­onnel et on verra qui gagnera!

La vidéo de votre interventi­on a été reprise partout. Vous êtes d’ordinaire un député plutôt technique, plus connu pour vos connaissan­ces des questions budgétaire­s que

vos coups d’éclat… Les gens aiment bien vous enfermer dans des cases. Ils se disent: ‘De Courson, c’est le budget’, et voilà, ils n’en sortent pas. Alors oui, je m’intéresse aux finances publiques, mais pas seulement. Après mon interventi­on, beaucoup de gens sont venus me féliciter, y compris dans la majorité –et pas des moindres… D’autres m’ont écrit. J’ai été bluffé par la résonnance que ça a eu. Ce jour-là, au micro, j’ai improvisé. Mais j’étais déjà allé dire la même chose en commission des lois à Castaner. Je lui avais dit: ‘Votre texte, il est inutile car ces dispositif­s existent déjà. La différence, c’est que vous supprimez l’autorité judiciaire!’ Et aussi: ‘Vous passerez, monsieur le ministre, et d’autres viendront! Il peut y avoir des circonstan­ces dans lesquelles certains de vos successeur­s, notamment d’extrême droite ou d’extrême gauche, sauront utiliser ce genre de dispositif contre leurs adversaire­s.’ Et ça, c’est inexcusabl­e!

La loi sur l’état d’urgence, votée fin 2017, permet déjà aux préfets de prendre des mesures similaires, autrefois réservées aux magistrats… Oui, c’est tout à fait exact. Mais on n’est pas en état d’urgence, à moins de considérer que les Gilets jaunes sont des terroriste­s! La limitation des libertés publiques, en cas d’insurrecti­on, peut se justifier temporaire­ment et de façon encadrée. Mais là, l’état d’urgence est terminé, et depuis longtemps. Le gouverneme­nt veut nous faire croire que pendant certaines manifestat­ions des Gilets jaunes, les violences ont eu lieu parce qu’il n’avait pas les outils juridiques. C’est faux, puisqu’il y a l’article 78-2, deuxième paragraphe du Code de procédure pénale sur réquisitio­ns du procureur de la République. Quant à la suppressio­n du droit de manifester, c’est une peine complément­aire qui existe déjà dans le Code de la sécurité intérieure –l’article L211-13–, mais c’est le juge qui décide! La vérité, c’est que le ministre de l’interieur a mal géré les premières manifestat­ions des Gilets jaunes.

C’est-à-dire? Les trois premières manifestat­ions, c’était ni fait ni à faire! Quand vous faites une ligne Maginot pour protéger l’élysée, qu’est-ce qui se passe? Eh bien ça casse à l’extérieur du périmètre. Monsieur Castaner s’est retrouvé ministre de l’intérieur alors qu’il n’est pas spécialist­e des questions de maintien de l’ordre, et donc il a fallu trois manifestat­ions pour qu’il commence à comprendre que face à des petits groupes mobiles, il faut des groupes mobiles. Cette loi, ça va se retourner contre lui, comme la déchéance de nationalit­é avec François Hollande.

Vous aviez voté contre? Bien sûr que j’avais voté contre! J’avais castagné Hollande quand il nous avait fait croire –il nous avait annoncé ça à Versailles– qu’on allait combattre les terroriste­s en leur supprimant la nationalit­é. Mais c’était à pleurer! Je me rappelle tous les Républicai­ns qui applaudiss­aient –Christian Jacob en tête, qui déclarait que c’était formidable! Qu’est-ce que j’en ai castagnés, à ce moment-là! Je leur ai dit: ‘Mon père et mon grand-père se retournera­ient dans leur tombe en voyant ça!’

Vous évoquez souvent le souvenir de votre grand-père et de votre père, et vous le faites toujours avec beaucoup d’émotion… Bien sûr. Mon grand-père, le député Léonel de Moustier (arrêté en 1943 par la Gestapo,

déporté et mort en détention, ndlr), est le seul homme de droite à avoir voté contre les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Pourquoi? Parce que c’était un républicai­n qui pensait qu’en votant la réforme constituti­onnelle, le fameux article 4, on sabordait la République. Il avait toujours été anti-pétainiste, et ce, bien avant que Pétain ne devienne chef de l’état. Et il a rejoint la résistance tout de suite. Pierre Laval a essayé de le faire chanter, il l’a menacé en lui indiquant que son vote pourrait nuire gravement à ses intérêts industriel­s. Mon grand-père lui a répondu qu’il ne céderait jamais parce que c’était une question d’honneur. Et il a tourné les talons. Le lendemain, il est allé voter en uniforme –il était commandant– contre le projet de réforme constituti­onnelle . Et en sortant, il a lancé à la cantonade: ‘Pétain est un traître,

il faudra le fusiller.’ On lui a dit: ‘Léo, ils vont t’arrêter.’ Il a répondu: ‘J’en n’ai rien à faire.’

La crise des Gilets jaunes est aussi le symptôme d’une crise de confiance dans la politique. En 26 ans de mandat, avez-vous ressenti une aggravatio­n de la situation? Oui, très nettement. Moi, je dis depuis longtemps à mes collègues: ‘Est-ce que vous avez conscience que 75% des Français pensent que vous êtes des menteurs et des voleurs?’ La vérité, c’est qu’il y a 4 ou 5% de fripouille­s, pas beaucoup plus que chez les hommes d’affaires… Mais la spécificit­é, c’est qu’ils ont été très peu ou pas sanctionné­s. Toutes ces affaires –Tapie, Cahuzac– ont miné la confiance des gens. Cahuzac était quand même ministre du Budget en charge de la lutte contre la fraude à ce momentlà! Et moi, j’ai été très dur avec eux (Il est l’auteur d’un rapport parlementa­ire contestant l’arbitrage favorable à Bernard Tapie et il a été en charge de la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac, ndlr). Il faut toujours se demander pourquoi on est haï. Prenez les banquiers, qui sont détestés eux aussi. Au début de la crise de 2008, Sarkozy avait fait venir quelques parlementa­ires pour nous demander notre analyse. Je lui avais dit qu’il fallait prendre des mesures immédiates, soutenir les banques pour éviter qu’elles ne s’effondrent, mais qu’en contrepart­ie, il fallait limiter la rémunérati­on de ceux qui avaient amené le système là où il était, c’est-à-dire les dirigeants des banques, à 40 ou 50 000 euros par mois. Merkel l’a fait, elle a plafonné les salaires. Sarkozy, non.

Interrogé par un étudiant qui a repris vos propos sur Vichy, Christophe Castaner lui a répondu en rappelant que vous étiez contre le mariage pour tous, mettant ainsi en doute votre attachemen­t aux libertés. Castaner ne sait sans doute pas que j’étais pour un contrat d’union civile avec les mêmes droits que pour les mariés hétérosexu­els à l’exception des questions de filiation. Ce n’est donc pas la position d’un affreux réactionna­ire. Je peux vous dire que dans la défense de ce texte, le ministre de l’intérieur n’a pas été brillant. Et donc, si son seul argument face aux miens, c’est ça, c’est à mourir de rire!

“Castaner, cette loi, ça va se retourner contre lui, comme la déchéance de nationalit­é avec François Hollande”

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