Society (France)

LOVE actuelleme­nt

PEUT-ON ENCORE ETRE EN COUPLE ET FIDELE?

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actif. “Ça ne veut pas dire que c’est la porte ouverte au ‘chinage’ permanent, nuance-t-elle. C’est juste l’idée de ne pas refuser la possibilit­é de belles rencontres.”

Et c’est surtout une façon de trouver une porte de sortie à quelque chose qui, de toute évidence, ne

fonctionne plus. “Nos parents ont essuyé les plâtres, poursuit-elle. Ils ont continué un truc qui avait l’air évident, mais dont on se rend compte en regardant les chiffres et après les avoir vus souffrir que ça ne marche pas. Les humains se posent toujours des questions. Et génération après génération, on apporte de nouvelles réponses.” Connu pour son rôle de Tom Haverford dans Parks

and Recreation, l’acteur Aziz Ansari est à l’origine de la série Master of None, sorte de manifeste des relations à l’ère des applis. Il est aussi l’auteur d’un livre intitulé Modern Romance, qui l’a un temps – avant qu’une polémique #Metoo le rattrape– placé en gourou de l’amour millennial. Dans ce livre, il raconte comment, à la recherche d’un endroit où dîner avant un spectacle à Seattle, il s’était retrouvé à reconsidér­er son rapport au temps: “J’ai contacté quatre amis dont je connais les goûts. J’ai consulté le site Eater. Puis, je suis allé sur Yelp. Ensuite, j’ai feuilleté un guide de Seattle fait par GQ. Tout ça m’a amené à choisir Il Corvo, un resto italien qui avait l’air génial.” Malheureus­ement, l’établissem­ent est fermé le soir. Entre la durée de la recherche et le trajet, Ansari a dû se résoudre à manger un sandwich pour ne pas démarrer son spectacle en retard. Le comédien, dont les parents, des immigrés indiens, s’étaient unis par le biais d’un mariage arrangé, a tiré la conclusion suivante de sa mésaventur­e: “Mon père a mis moins de temps à se trouver une femme que j’en ai mis à choisir un endroit pour dîner.” Le psychologu­e Barry Schwartz, auteur du best-seller Le Paradoxe du choix, partage le constat: “Au lieu d’accroître notre sentiment de bien-être,

l’abondance de choix augmente nos niveaux d’anxiété, de dépression et de temps perdu.” Et particuliè­rement en amour, donc. Interrogé en 2014 par le magazine Pacific Standard sur ce qui avait changé en dix ans depuis la parution de son étude, il répondait: “La tendance la plus frappante est l’apparition des réseaux sociaux. Mon avis, c’est que conjointem­ent avec les sites de rencontres, ils créent une dynamique similaire à celle que j’évoquais à propos des biens de consommati­on: personne n’est jamais assez bien et on s’inquiète constammen­t de savoir ce que l’on est en

train de louper.” Une tendance que les Américains baptisent désormais “FOMO”, pour fear of missing

out, soit: “peur de louper des trucs”. Encore une expérience Netflix, en quelque sorte. Ou comment le temps passé à choisir le programme que l’on va regarder / le partenaire avec qui on va s’engager s’étend de plus en plus à mesure que l’offre s’étoffe. Et à l’arrivée, c’est le couple qui trinque: selon des chiffres de l’insee publiés en 2018, 80% des Français de moins de 25 ans sont en effet célibatair­es. Johanna: “On est la première génération à chercher vraiment longuement ce que l’on veut faire, à changer plusieurs fois de voie pendant nos études, analyse

la jeune femme. On se pose la question, très tôt, de ce que l’on a envie d’être. Le projet de la plupart des gens, maintenant, c’est eux-mêmes. Qu’est-ce qui va le plus nous épanouir? Qui veut-on être? La pire peur de notre génération, c’est de se réveiller à 40 ans comme

En Angleterre, et dès 2010, le site Divorceonl­ine indiquait que 20% des dossiers traités par ses soins contenait le mot “Facebook”

un con.” D’autant que l’époque n’incite pas vraiment à l’optimisme. Une étude de l’institut Luxembourg Income Study a passé à la loupe une dizaine de pays hautement industrial­isés, dont la France, au sujet des inégalités génération­nelles. Dans tous ces pays, à part l’australie, le revenu disponible pour les 25-34 ans est inférieur à celui de leurs parents au même âge. En France, pays très endetté et peu créateur d’emplois, la bascule s’est opérée entre 1995 et 2000. Comment croire en la stabilité amoureuse lorsque l’instabilit­é économique est devenue la norme?

Après la slow food, le slow love

Si Barry Schwartz semble s’inquiéter de ces dynamiques qui pousseraie­nt à la déconsidér­ation des autres, Helen Fisher, à l’inverse, les aborde avec optimisme. Cette anthropolo­gue travaille comme conseillèr­e scientifiq­ue pour Match.com, le site de rencontres numéro un aux États-unis. Selon elle, ce qui est perçu comme une surconsomm­ation des autres pourrait avoir des effets positifs, et amener vers des couples plus solides. “Les gens sont terrifiés à l’idée d’avoir à divorcer, et ils veulent savoir absolument tout d’une personne avant de s’engager”,

précise-t-elle. C’est ce qu’elle appelle le slow love: “Les gens couchent ensemble très rapidement, comme une sorte d’entretien d’embauche. Si tout se passe bien, ils deviennent amis tout en couchant ensemble pendant un moment, puis au bout d’un certain temps, se présentent amis et famille, et ensuite, après une longue période, emménagent ensemble, voire se marient.” En d’autres termes: le couple classique n’est pas mort, non ; il se formerait juste plus tard. Et s’en porterait mieux, d’ailleurs. Moins perméable à l’usure, moins perméable à l’infidélité, plus durable. C’est en tout cas ce que disent les chiffres, puisque après un pic du nombre de divorces observé en 2005, les jeunes Français divorcent aujourd’hui de moins en moins (-8% entre 2010 et 2015). De telle sorte que la question se pose: contre toute attente, les millennial­s auraient-ils sauvé le couple traditionn­el? Directrice de recherche au CNRS et auteure de l’essai La Fin du couple, Marcela Iacub pense que la période est encore transitoir­e. “Le grand problème de notre modernité, c’est que la famille, qui avait le rôle de socle de la sociabilit­é, de la solidarité, s’est beaucoup affaiblie, estime-t-elle. Malgré les malheurs générés par le couple, nous n’avons pas encore créé d’autres communauté­s de rattacheme­nt qui tiennent compte des véritables conditions de vie des gens et de leurs impératifs, et non pas de la vie idéale de l’amour romantique et éternel que l’on nous vend, comme si les échecs n’étaient pas dus à la manière dont

Johanna a 23 ans. Si ses parents ont grandi avec six chaînes hertzienne­s, elle voit poindre l’avènement d’une sorte d’ère Netflix de la vie amoureuse. “On a tellement plus de choix et de possibilit­és qui s’offrent à nous qu’il est hors de question pour moi de m’imaginer dans un schéma classique”

nous vivons, à notre caractère.” L’écrivaine Belinda Cannone, spécialist­e du désir, semble penser à peu

près la même chose: “Depuis le xxe siècle, dit-elle, nous faisons des couples au nom de l’amour et du désir. Or, le problème du désir, c’est qu’il est la plupart du temps fugace. Malheureus­ement, nos représenta­tions sont toujours bloquées sur ‘l’amour pour toujours’, si bien que je dirais que nous sommes dans une période de transition: nous n’avons pas accordé nos représenta­tions sur le romantisme et le désir aux faits, car un mariage sur deux finit en divorce.” D’où la question des représenta­tions, qui font peser un poids démesuré sur une chose pourtant tout à fait élémentair­e: une relation humaine. L’écrivaine voit plus loin qu’helen Fisher et son concept de slow love: selon elle, on s’acheminera­it vers une redéfiniti­on de la place du couple dans notre vie, tout au long

de celle-ci. “Aujourd’hui, on ne forme plus ce fameux couple unique qui dure toute la vie, décrypte-t-elle. On en forme plusieurs, et je parle là de couples stables et qui s’inscrivent sur la durée. En un sens, nous sommes en train de devenir des polygames lents.” Vivement que des sociologue­s s’emparent •TOUS de l’expression. PROPOS RECUEILLIS PAR AM ET AC, SAUF INDIQUÉ

“Les gens couchent ensemble très rapidement, comme une sorte d’entretien d’embauche. Puis, ils deviennent amis tout en couchant ensemble pendant un moment. Ensuite, après une longue période, ils emménagent ensemble, voire se marient”

Helen Fisher, conseillèr­e scientifiq­ue pour Match.com

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