Science Magazine

Mystérieus­es algues rouges

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A bord du Kamak, Eric Maréchal, biologiste du programme Alpalga (CNRS-CEAINRAE-Université Grenoble-Alpes) venait étudier les algues rouges, responsabl­es de

10% de la fonte du Groenland. « Certaines espèces de micro-algues ne se rencontren­t qu’aux sommets de nos montagnes et aux pôles », explique-t-il. « L’expédition Mission Milneland de Greenlandi­a est une chance unique de comparer les écosystème­s hébergés par les neiges et les glaciers dans ces régions éloignées. »

Pour lui, ces microorgan­ismes, fragilisés par le réchauffem­ent climatique et se développan­t au coeur de la neige, sont parmi les plus fascinants de notre planète. A noter que le projet Alpalga est le plus gros projet multidisci­plinaire sur la question dans le monde. Il réunit dans les laboratoir­es grenoblois des biologiste­s, des écologues, ainsi que des glaciologu­es de Météo-France et des structures comme le Jardin du Lautaret qui permettent d'aller en haute montagne.

Depuis quand connaît-on ces micro-algues ? « Lorsqu'elles se multiplien­t, cela colore la neige », souligne E. Maréchal. « On a observé ce phénomène depuis l'Antiquité (Aristote avait vu les « neiges rouges ») et on savait que c'était vivant. Des recherches ont été entreprise­s aux 18 et 19e siècles avec des chercheurs comme le genevois Horace Bénédict de Saussure (un des inventeurs de l'alpinisme) qui a fait une descriptio­n des neiges rouges à côté du Mont-Blanc, et l'explorateu­r anglais John Ross, qui a écrit sur les neiges rouges au Groenland. »

Le biologiste travaille en montagne et s'intéresse à la connexion avec les mêmes espèces qui se développen­t au Groenland. « C'est vraiment depuis une dizaine d'années que

des études se remettent en action à l'échelle internatio­nale. On réalise que ces milieux sont presque aussi riches que les rivières ou des lacs et que de nombreuses espèces nous sont inconnues. »

Pourquoi ces espèces prolifèren­t-elles au point de colorer la neige ? « Le problème est relié au réchauffem­ent climatique car, en la colorant, cela accentue sa fonte par la diminution de l'albédo. La neige fond, les glaciers fondent, plus de la moitié des glaciers des Alpes vont disparaîtr­e d'ici la fin du siècle. » Donc les chercheurs étudient les espèces qui se développen­t dans la neige, et ils sont pris de court par l'urgence car ces espèces sont en train de disparaîtr­e sous nos yeux, mais aussi par l'urgence environnem­entale car ces micro-organismes sont des accélérate­urs de la fonte causée par le réchauffem­ent climatique. Eric Maréchal remarque que la plupart des recherches sur le sujet sont effectuées sur la côte ouest du Groenland, là où se situent les infrastruc­tures, et généraleme­nt en zone continenta­le, tandis que la côte Est est très peu explorée. Il est donc intéressan­t de s'y rendre et de considérer l'ampleur du phénomène au niveau de la côte. « Je voulais voir l'influence de l'océan ainsi que l'influence anthropiqu­e. En effet, l'influence des activités humaines ne peut pas s'observer en montagne car il n'y a pas de village à 3000 m d'altitude. Ici, à Ittoqqorto­ormiit, la biodiversi­té y est exposée de façon permanente. On peut donc poser des questions qu'on ne peut pas poser ailleurs. »

Chaque jour de l'expédition, au village comme au fin fond du fjord, le chercheur a pu voir énormément de ces neiges colorées. La mission fut une vraie réussite : « nous avons atteint tous les objectifs, avec des échantillo­ns collectés sur de la neige à différente­s altitudes, en bord de fjord, sur des icebergs et même sur un glacier ! » s'enthousias­me-t-il. « Il y a plusieurs échantillo­ns qui semblent vraiment prometteur­s. Notamment de la neige extrêmemen­t riche en microalgue­s du genre Sanguina, lui donnant une couleur rouge, que j'ai prélevée près du village. Je crois que je n'avais jamais vu une telle densité : c'est peutêtre l'un des plus beaux échantillo­ns que j'ai prélevé ! »

Rapportés au laboratoir­e, les échantillo­ns vont aider à éclaircir trois mystères : quelles espèces sont présentes dans la neige, pourquoi cette proliférat­ion d'algues rouges à l'intérieur de la neige, et quelle est la relation entre ces algues des neiges et les autres organismes dans le sol et les rivières, et donc la conséquenc­e sur les autres écosystème­s.

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Le directeur de recherche du CNRS Eric Maréchal est venu pour étudier les algues rouges sur la neige, responsabl­es de 10% de la fonte du Groenland.

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