Les batteurs parlent aux batteries
Deux Petits Bouts De Bois, Une Autobiographie De La Batterie De Jazz ALAIN GERBER Frémeaux Et Associés
Etant largement établi le fait que la plupart des auteurs sur la musique sont des obsessionnels et des maniaques, étant également établi le fait que la compulsion évangélique de ces doux dingues peut les entraîner très loin sur n’importe quelle niche autour de leur sujet favori, penchons-nous aujourd’hui sur le cas, inhabituel en ces pages, d’Alain Gerber pour son ouvrage explicitement intitulé “Deux Petits Bouts De Bois, Une Autobiographie De La Batterie De Jazz”. Du jazz, ici ? Oui, alors c’est vrai que c’est pas notre premier choix musical et que longtemps, sauf exception, on n’a pas été dans les meilleurs termes mais, alors que les dates de naissances respectives des deux genres commencent à se confondre dans une même préhistoire musicale, on ne peut que reconnaître que, non seulement le jazz et le rock ont entre eux plus en commun qu’avec la plupart des nouveaux genres plus récents — pas d’autotune déjà, putain ! — mais surtout que leurs préceptes respectifs reposent sur la même base, le primordial rythme et son incarnation terrestre — quoique parfois divine — la batterie. Alain Gerber, prolifique romancier, homme de radio, critique et journaliste de jazz est aussi un batteur amateur acharné et un passionné, pour le moins, de ces miraculeux petits bouts de bois, et c’est au fil de son autobiographie qu’il nous en distille les enseignements quasiment philosophiques que leur fréquentation poussée lui a appris. “Fétichisme des accessoires” ou pure et simple obsession, le diagnostic est en suspens pour Gerber mais les non-batteurs vont apprendre un paquet de trucs : “La Baguetterie” n’est pas une boulangerie spécialisée mais bien une boutique de baguettes, les batteries parlent aux batteurs : “Ma batterie ne me cachait pas qu’elle avait attendu un autre genre de pilote. Rien ni personne ne m’aura fait comprendre avec si peu de tact que j’étais devant mon attirail une personne déplacée.”
Et les batteurs parlent aux batteries : “J’entends par là une cymbale susceptible de m’offrir ce que je n’étais pas, moi, en mesure de lui apporter. Celle qui fabriquerait elle-même les sonorités que je rêvais d’en extraire”, la couleur des baguettes influe sur le jeu et certaines font peur : “Il y avait là des gourdins 3S de chez ProMark USA propres à assommer les promeneurs attardés sur le boulevard. Des machins en fibre de carbone, noirs comme le diable à un bout, à l’autre rouges comme l’enfer... J’avais opté en faveur de baguettes japonaises ProMark M en métal, froides, hi-tech, dignes du bloc chirurgical, inhospitalières au possible.”
On le comprend vite, Gerber n’a jamais pensé être lui-même un très grand batteur mais ce détail technique n’a à aucun moment entamé ni sa passion ni sa fascination pour les âmes qu’il prête aux batteries et aux baguettes. C’est donc une autobiographie bourrée de digressions, d’à-propos et d’anecdotes sur le jeu, les goûts et les couleurs — Red Sparkle ou Black Oyster ? — des grosses caisses des grosses stars évoquées sur la couverture — un peu — et sur la vie de Gerber — beaucoup — sans toutefois parvenir à dissimuler la folie douce de l’auteur, sa baguettemania et sa ferveur, aussi frappante que sympathique.
Peter Doherty, Un Garçon Charmant PETER DOHERTY & SIMON SPENCE Le Cherche Midi
Rarement un jeune musicien aura suscité autant d’excitation dans les tabloïds et d’enthousiasme chez les critiques rock que le jeune Peter Doherty dont la litanie d’embrouilles, de scandales moisis, de disques prometteurs, de condamnations et de fiancées stars ont assuré depuis sa présence dans les médias avec une constance inédite et donc, forcément, dans la mire d’un éditeur. Lequel éditeur, pas fou, a vite compris que jamais Doherty ne se prêterait de lui-même à l’exercice et comme il refusait aussi toute idée de ghost-writer, il lui a envoyé le vétéran Simon Spence pour l’interviewer et en tirer, à terme, un livre. C’est donc cet ouvrage qui sort maintenant, fruit de dizaines d’heures d’entretiens mis en forme chronologique par Spence qui, un peu bizarrement, l’a écrit à la première personne comme une autobiographie le serait. Pour autant, Doherty joue la transparence totale et raconte, sans fard ou feinte contrition, les détails des nombreuses extravagances et sales conneries qu’il a commises, le tout, bien sûr, sous l’emprise d’un vaste choix de drogues. Ceci expliquant cela, il a donc ruiné ses meilleures relations, raté toutes ses opportunités, craché de mille façons sur tout son entourage et c’est seulement depuis quelques années qu’il est clean et enfin heureux en père de famille installé en France. Franc et bavard, le livre oscille donc entre l’évocation d’un Doherty poète et passionné musicien et celles de scènes dignes de “Trainspotting” et carrément crapoteuses. Avouons-le, on aime bien Doherty quand même, et on a appris plein de trucs, même certains dont on se serait passé mais on ne peut s’empêcher d’espérer le jour où Doherty lui-même racontera son histoire. ■