Le bruit et la fureur
Discographie The Jesus And Mary Chain
Quarante ans de carrière, dix albums, dont trois compilations consacrées à des morceaux qu’ils avaient tendance à éparpiller sur des EP et des singles, l’oeuvre discographique des frères Reid a quelque chose de rare : aucun disque n’est raté et le désir du duo de toujours se réinventer fait qu’aucun album ne ressemble à son prédécesseur.
“Psychocandy” (1985)
The Jesus And Mary Chain commencent leur carrière par un chef-d’oeuvre absolu auquel le reste de leur discographie sera immanquablement comparé durant toute leur carrière. A la fois miracle et malédiction, “Psychocandy” propose une esthétique inédite pour l’époque : un mélange d’influences fifties et sixties qui aboutira à un son singulier fait de guitares saturées, de batteries surf et de mélodies ténébreuses. Cette rencontre entre le Velvet Underground, les Beach Boys et Phil Spector donne naissance à des morceaux emblématiques : “Just Like Honey”, “Never Understand”, “My Little Underground”, “You Trip Me Up”, qui influenceront à leur tour des milliers de groupes.
“Darklands” (1987)
Plus mélodique, moins sombre malgré son titre, “Darklands” voyait le groupe laisser percer la lumière et ouvrir un peu son wall of sound. Le batteur Bobby Gillespie, parti pousser des cris primaux ailleurs, est remplacé par une boîte à rythmes et les frères Reid enregistrent tout eux-mêmes. En choisissant la ligne claire, le duo se renouvelle avec brio et prouve qu’il n’est pas qu’un one-trick pony avec des perles telles que “Happy When It Rains” ou “Down On Me”.
“Barbed Wire Kisses (B-Sides And More)” (1988)
A peine deux albums sortis et le groupe propose déjà une compilation de raretés. On trouve des reprises déglinguées de leurs héros (“Who Do You Love” de Bo Diddley, “Surfin’ USA” des Beach Boys, “Mushroom” de Can), ainsi que leur bruitiste premier single “Upside Down”, des faces B et l’inédit “Sidewalking”. Essentiel.
“Automatic” (1989)
“Automatic” comme pour dire que l’album a été fait en pilote automatique ? Premier coup de mou pour le groupe avec cet album qui rate sa cible autant qu’il l’atteint. La batterie est à nouveau électronique et la basse enregistrée au synthétiseur, ce qui date l’affaire, d’autant que le duo se montre peu inspiré. Paradoxalement, avec des titres comme “Blues For
A Gun” et “Head On”, le groupe s’ouvrira les portes du succès aux USA.
“Honey’s Dead” (1992)
Sur son premier album, The Jesus And Mary Chain chantait “Just Like Honey”. Avec son quatrième album, le groupe affirme que cette période est morte (“Honey’s Dead”) et se réinvente pour le meilleur. Cette foisci le batteur Steve Monti joue en studio et on retrouve l’énergie qui manquait à l’album précédent sur des titres tels que “Far Gone And Out” ou “Tumbledown”, ainsi que des guitares abrasives et des textes provocateurs (“Reverence”).
“The Sound Of Speed” (1993)
Deuxième compilation de faces B et inédits, “The Sound Of Speed” mérite l’attention pour quelques belles chansons comme la douce “Don’t Come Down”, la ténébreuse “Heat” ou le pastiche des Beach Boys (à la moulinette JAMC) de “Write Record Release Blues”. Dommage que les reprises soient moins passionnantes (“Little Red Rooster” de Willie Dixie, noyée sous la distorsion, “My Girl” des Temptations sans énergie, mais “Tower Of Song” de Leonard Cohen et “Guitarman” emprunté à Elvis rattrapent le coup).
“Stoned & Dethroned” (1994)
Premier album enregistré avec un groupe complet depuis “Psychocandy”, “Stoned & Dethroned” est une affaire étrangement paisible, à rapprocher des albums de Mazzy Star d’alors. Hope Sandoval, compagne de William Reid à l’époque (qui chante ici sur le single “Sometimes Always”), n’y est sans doute pas pour rien. Shane MacGowan vient poser sa voix sur “God Help Me” pour un album aux contours folk-rock aérien, un des plus attachants du groupe.
“Hate Rock’n’Roll” (1995)
Dernier volume de la trilogie d’albums de raretés du groupe,
“I Hate Rock’n’Roll” est le moins intéressant des trois tant le matériel proposé oscille entre la blague (le folk mignon de “New York City”) et le génial (“Snakedriver”, grand titre oublié). Le single “I Hate Rock’n’Roll”, au texte vachard, mérite également mention.
“Munki” (1998)
Quittant son historique label Blanco y Negro, le duo signe chez Sub Pop aux USA et Creation au Royaume-Uni. Avec un tel attelage, on pourrait croire que les choses vont bien se passer, mais “Munki” montre un groupe malade qui oscille entre moments de brillance et d’errance. Incapables de travailler ensemble, les frères évitent de se croiser en studio et le manque de cohérence est criant. L’album débute par “I Love Rock’n’Roll” et s’achève en miroir sur “I Hate Rock’n’Roll”, qui résume bien la carrière du groupe, qui splittera peu après.
“Damage And Joy” (2017)
Après des années de bouderie, les frangins ont enterré la hache de guerre en 2007 pour une reformation sur scène mais ont mis quasiment une décennie à concevoir l’album du comeback. “Damage And Joy” est une affaire étonnamment joyeuse (“The Two Of Us”, “Always Sad”) avec des vocalistes invitées (Sky Ferreira, Isobel Campbell et Linda Fox, leur soeur cadette) qui apportent de la douceur. Quelques titres, comme “Amputation” et surtout “Simian Split”, sonnent intemporels.