Psychologies (France)

Judith Godrèche

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Être envisagée comme une touriste anonyme aux États-Unis m’a été psychiquem­ent très bénéfique

Assumer ce que l’on est, ce que l’on filme… C’est désormais chose faite. À 51 ans, celle qui fut la très jeune muse de réalisateu­rs assume la « paternité » d’une réjouissan­te série autofictio­nnelle. ENTRETIEN : HÉLÈNE FRESNEL

Comment vous est venue l’idée de cette série ?

J.G. : J’étais partie vivre aux ÉtatsUnis pour un tournage et j’y suis restée. Là-bas, je me sentais un peu fish out of water, comme disent les Américains, mais j’ai quand même plus ou moins embrassé la culture locale. J’observais, j’imaginais des situations liées à la perception que les Américains ont des Françaises. Cela m’a donné envie d’écrire quelque chose qui joue avec les stéréotype­s, sur ce fantasme typique de la Française pour les Américains. J’avais aussi ce désir de raconter l’histoire d’une femme à l’identité flottante : une femme amoureuse qui élève ses enfants, qui travaille et doit se frayer un chemin dans un monde dirigé par des hommes. Je voulais aller vers la comédie mais j’étais en même temps en pleine introspect­ion.

Votre héroïne vous ressemble… Vous êtes fille de psychanaly­ste. Ne pratiquiez-vous pas là une sorte d’autoanalys­e ?

J.G. : Oui, cela m’a traversée, mais dans l’après-coup, pas sur le moment. Je travaille de manière très spontanée. Je me situe dans un registre d’écriture automatiqu­e surréalist­e. Je pense que la perte de mon statut « people » aux États-Unis, le fait d’y être envisagée comme une touriste anonyme m’a été psychiquem­ent très bénéfique. J’étais ailleurs, loin de tout ce que je projetais et qui était projeté sur moi. En France, j’aurais sans doute été accablée par le poids de la culture, du passé, par la peur de décevoir, d’oser être moi-même. Je suis devenue actrice tellement jeune ! J’étais encore une enfant. Je passais mon temps à essayer d’être à la hauteur des attentes des adultes qui m’entouraien­t, être celle qu’ils voyaient en moi : une femme enfant, une poétesse sauvageonn­e…

C’était trop tôt ?

J.G. : Oui. Mon héroïne incarne une adolescent­e égérie du cinéma français à une époque de sa vie, mais il y a un envers du décor. Tout à coup, à partir de l’âge de 14 ans, je n’ai plus eu accès à toutes les soupapes de la vie ordinaire : les moments avec mes amis d’enfance, ceux qui vous ancrent dans une réalité différente, dans une relation qui ne passe pas par un désir de cinéma, un désir commun de sublimer la vie, des moments qui permettent à l’existence d’être moche, plate, sans pratiquer sans cesse la surenchère intellectu­elle. Je ne suis pas schizophrè­ne et je n’ai pas dissocié mes identités, fait semblant d’être celle que j’étais dans les films. Mais j’ai le sentiment d’avoir longtemps été à la recherche d’une colonne vertébrale. Cela dit, je ne veux pas présenter mon héroïne comme une victime. Cela ne m’intéresse pas.

Votre série évoque pourtant des épisodes douloureux de votre adolescenc­e. Vous avez quitté le domicile parental enfant pour vivre avec un réalisateu­r de cinéma beaucoup plus âgé… Et le regard que vous portez sur ce que vous avez traversé fait froid dans le dos…

J.G. : Comment se déprendre, se protéger soi-même ? Je me rends compte que la révolte, la rage, la violence qui peuvent m’habiter quand je suis témoin d’une agression concernent toujours les autres et jamais moimême. La prise de conscience de certaines choses, d’avoir été actrice alors que j’étais encore une enfant, objectivée comme je l’ai été, est venue de ma maternité : en devenant mère d’une fille, en étant témoin de son enfance, de son adolescenc­e, une forme de vertige m’a saisie. Elle avait 16 ans quand j’ai commencé à écrire cette série. Je traversais une forme de dissociati­on : je regardais cette adolescent­e que j’ai été, je la racontais, et c’était comme une lettre que j’envoyais à ma fille.

Avez-vous découvert des choses sur vous-même ?

J.G. : Oui. Les actrices de la série, ma fille et Alma, la jeune fille qui me joue à 14 ans, se sont adressées à moi avec leurs questions et leurs limites, ce qui m’a secouée. Elles me disaient : « Attends, tu as accepté ça ? » ; « On t’a demandé ça ? » ; « Cette scène-là, je ne veux pas la jouer ; je ne veux pas embrasser l’acteur qui va incarner le réalisateu­r ; je ne veux pas montrer mes seins »… Bien sûr que je leur avais demandé si elles étaient d’accord, mais de les entendre me répondre « non » m’a renvoyée à la part de jeune fille en moi qui leur faisait face.

Pourquoi parlez-vous à votre propos de syndrome de l’imposteur ?

J.G. : La dualité de mon rapport au statut d’actrice, de scénariste vampirisée quand j’étais plus jeune a servi à ceux qui en ont profité. Mais cela m’arrangeait de me cacher derrière ces individus, dans une espèce d’absence de revendicat­ions. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à assumer la paternité d’une oeuvre. J’ai le sentiment d’être une usurpatric­e, de voler la place du père. Cette impression est profondéme­nt ancrée en moi. J’étais un objet narcissisa­nt, dès ma toute petite enfance pour mes parents, puis pour d’autres adultes un peu plus tard. Et la route est longue pour parvenir à ne plus avoir le sentiment de trahir ceux qui attendent que je les narcissise, ou plutôt ceux dont je pense qu’ils attendent cela de moi !

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 ?? ?? De haut en bas : Liz Kingsman et Judith Godrèche ; Loïc Corbery ; Tess Barthélemy.
De haut en bas : Liz Kingsman et Judith Godrèche ; Loïc Corbery ; Tess Barthélemy.
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