2001 ET DES PUOSSIÉRES
Le chef-d’oeuvre de Stanley Kubrick a 50 ans
Au Festival de Cannes dans une copie 70 mm présentée par Christopher Nolan, ou bientôt dans votre salon en Blu-ray 4K flambant neuf, 2001, l’odyssée de l’espace célèbre son premier demi-siècle sur terre. Cinquante ans d’obsession pop culturelle qui nous ont appris une chose : ce film ne vieillira jamais.
Aquelle date exactement les fans de
2001, l’odyssée de l’espace sontils censés souffler les bougies et déboucher le champagne ? Si l’on se réfère au calendrier cannois établi par Thierry Frémaux, la fête d’anniversaire officielle du monument kubrickien aura lieu le samedi 12 mai, jour d’une projection de gala exceptionnelle, dans une copie 70 mm, en présence de l’un des plus célèbres héritiers autoproclamés de Kubrick, Christopher Nolan. Si l’on se fie aux encyclopédies du cinéma, en revanche, on peut estimer que 2001 est officiellement « né » le 2 avril 1968, lors d’une avant-première légendaire à l’Uptown Theater de Washington DC, dont sortirent, avant la fin, 241 spectateurs excédés par les délires métaphysiques incompréhensibles de « l’enfant terrible » Stanley Kubrick. 12 mai ? 2 avril ? À ces deux dates commémoratives, on peut désormais ajouter le 28 mars dernier, le jour où le Festival de Cannes a officiellement annoncé la tenue de l’événement 2001. L’onde de plaisir cinéphile qui a instantanément parcouru les réseaux sociaux est sans doute la preuve ultime de l’amour monstre qu’une bonne partie de la population terrestre continue de porter au chef-d’oeuvre de Kubrick. Sur Facebook, Twitter, tout le monde y allait de son commentaire ému, de son épithète élogieuse, choisissait le visage de l’astronaute Dave Bowman ou l’oeil rouge de HAL comme nouvelle photo de profil... Teaser le prochain Festival de Cannes avec un film vieux de cinquante ans ? C’était, d’abord, une victoire de la stratégie « Classics » de Thierry Frémaux (le délégué général disait dans le communiqué : « Cette projection sera la preuve que le cinéma a été inventé pour le GRAND écran » – un message anti-Netflix assez clair en même temps que la réaffirmation du credo du Festival Lumière, son raout lyonnais patrimonial). C’était aussi la simple confirmation que, par-delà les décennies, la folie visionnaire et la puissance terrassante du film de Kubrick fascinent toujours autant. Des films adorés, il y en a des tonnes. Mais des films qui obsèdent ainsi, qui infiltrent tous les espaces de l’art et de la création [lire encadré page 77], qui en ont enfanté cent autres ? Il y en a beaucoup moins.
King Kong, Metropolis, Le Magicien d’Oz, la doublette hitchcockienne Psychose / Vertigo... Gaspar Noé,
adorateur ultime de 2001, qui profite de cet anniversaire pour discuter avec le magicien des effets spéciaux Douglas Trumbull [lire page 78], l’exprime ainsi : « Je crois le connaître par coeur mais c’est un film tellement complexe que, à chaque fois, je me retrouve perdu dans le labyrinthe. » 2001 répond en effet à une logique radicalement « autre », capable de générer du mystère et de la poésie à l’infini. C’est un film d’exploration spatiale qui atomisait la concurrence de l’époque et continue de servir de mètre étalon au genre. C’est un film prophétique sur l’intelligence artificielle qui alimente aujourd’hui encore nos fantasmes techno (-philes ou -phobes). C’est un trip. C’est un réservoir d’images qui frappent directement l’inconscient, un triomphe de design, une interrogation métaphysique à jamais irrésolue, un langage de cinéma qui a servi à (presque) tous les grands cinéastes venus après lui [lire notre Top page 80].
L’enfance de l’art
2001 ne vieillit pas, et pourtant, il semblait condamné à être dépassé puisqu’il portait sa date de péremption dans son titre. Il aurait en fait pu être oublié dès 1969, au moment où Armstrong posait le pied sur la Lune et où les images de l’espace n’étaient soudain plus de la science-fiction. Mais 2001 survit à tout. Même à son impitoyable passage en haute définition, qui a soudain révélé que les cieux infinis du cosmos étaient parsemés de coups de pinceau. L’édition Blu-ray 4K attendue pour l’automne (une autre occasion de boire un coup à la santé de Kubrick et d’Arthur C. Clarke) corrigera-t-elle le tir ? C’est l’un des enjeux de cette année de célébrations. Un autre enjeu est la question de la postérité du film auprès des générations futures. Pour les cinéphiles qui ont grandi dans les années 60 à 90, 2001 évoque souvent une émotion liée à l’enfance. Gaspar Noé l’a vu à 6 ans, dans un cinéma de Buenos Aires. David Fincher à 7 ans (en 69, donc), avec son papa, à San Francisco (en double programme avec Yellow Submarine !). Christopher Nolan à 7 ans aussi, mais en 77, quand le film est ressorti dans la foulée du triomphe de La Guerre des étoiles. C’est là que la présence à Cannes du réalisateur d’Interstellar prend tout son sens. Beaucoup de spectateurs nés après 2001 (l’année, pas le film) regardent Nolan comme un Kubrick des temps modernes. En accompagnant l’opus
magnum de Kubrick sur la Croisette, Nolan ne fait pas que monter sur les épaules d’un géant, il désigne celui-ci à ses plus jeunes fans pour signifier son importance. Dans une interview au L. A. Times, le cinéaste anglais a raconté qu’il avait montré 2001 à ses enfants alors que ceux-ci savaient à peine lire et écrire : « Les enfants sont capables de comprendre 2001 à un niveau élémentaire, fondamental. C’est ce qui m’est arrivé. À 7 ans, il a fonctionné sur moi comme un spectacle à l’état pur. Les gens se demandent : “Comment un enfant de 7 ans peut-il analyser 2001 ?” Mais ce n’est pas un film beaucoup plus facile à analyser quand on est adulte ! C’est l’expérience qui prime. » Intemporel, 2001, l’odyssée de
l’espace ne sera sans doute jamais un « vieux » film. Mais on n’aimerait pas non plus qu’il devienne une pièce de musée. Souhaitons-lui donc de rester, entre deux mille et une autres choses, un film pour enfants.
2001 EST CAPABLE DE GÉNÉRER DU MYSTÈRE ET DE LA POÉSIE À L’INFINI