Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Théâtres et musées fermés, rêves en sommeil
L’hiver arrive. En fait, il est déjà là mais nous n’en éprouvons pas encore la morsure. Rien à voir avec le calendrier. Ou avec la météo. C’est d’un autre hiver qu’il s’agit. Il a commencé en et il peut durer longtemps. Théâtres, musées et cinémas fermés, festivals décalés : c’est toute la machine à rêves qui se grippe. Elle devait redémarrer aujourd’hui jeudi. Faux départ. Le virus fait court circuit. Pour une bonne partie des Français, c’est loin d’être une préoccupation majeure. Quand la vie sociale se réduit comme peau de chagrin, on est surtout nostalgique des virées au resto, des apéros entre copains, de sa place de stade ou de son forfait au ski. Autant de sensations que l’on ne peut vivre par procuration. Alors qu’il suffit apparemment de cliquer sur sa télécommande ou son ordinateur pour accéder à tout le répertoire et taquiner sa muse préférée. Et que répondre à ceux qui risquent d’y laisser leur emploi, leur commerce et même leur santé ? Picasso ou Pfizer ? Villon ou écouvillon ? Comédie ou épidémie ? Le débat est plié avant d’avoir commencé.
Mais lançons-le quand même, alors que le nouveau calendrier du déconfinement doit être dévoilé. Aujourd’hui ? A la mi-janvier ? Comme dans un match d’improvisation, on ne le saura probablement qu’au dernier moment. Il est peu probable qu’un billet coupefile sera accordé aux sites culturels, alors que les indicateurs sanitaires sont toujours mauvais. On doit même s’attendre à ce que la vie culturelle reste longtemps perturbée. Même le festival le plus important de la région avec Avignon, celui de Cannes, annulé l’an dernier, n’est pas à l’abri d’un report de quelques semaines. Ses organisateurs l’ont annoncé hier. Mais si le spectacle vivant ne peut recommencer, si la rencontre directe entre le public, les oeuvres et les artistes doit encore être différée, il faudra en mesurer les dégâts causés dans notre imaginaire, et sur notre capacité à rêver nos vies. Ce qu’aucune retransmission sur écran, même en haute définition, ne peut soigner sur le long terme. Victor Hugo écrivait dans « Les Misérables » que
« la quantité de civilisation se mesure à la quantité d’imagination » ,que « la poésie d’un peuple est l’élément de son progrès ». Si nous, nos enfants, devons renoncer à l’art, pendant aussi longtemps, nous laisserons les fantasmes, si fréquents et si proches, occuper l’espace vacant, envahir et contaminer nos réflexions. Donc nos actions. Au-delà du soutien matériel aux professions impactées, le gouvernement doit bien mesurer ce qui est en jeu. Avant de décevoir à nouveau ceux qui classent la culture parmi les activités essentielles.