Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)
Emile Colonne, une grande voix injustement oubliée
Malgré ses 67 grands rôles, dont 23 créations au théâtre, ce grand artiste semble être tombé dans l’oubli. Seuls quelques vrais mélomanes continuent à perpétuer sa mémoire.
Rien ne destinait le petit Émile, Aimable, Parfait Colonne né le 18 avril 1885 à Toulon dans une famille modeste – son père était menuisier – à faire une carrière théâtrale. Pourtant tant à l’école ou plus tard lorsqu’il est engagé comme apprenti plombier, le jeune homme au prénom « quelque peu prétentieux » comme il se plaisait à le dire, aime entonner des chants lyriques. Ses chantiers sont ses premières scènes. C’est à l’âge de 17 ans, alors qu’il est atteint d’une pleurésie et que le médecin lui préconise de prendre des cours de chant à titre d’exercices respiratoires thérapeutiques, qu’il se découvre une vraie capacité pour la discipline. En effet, le jeune Émile montre de belles dispositions naturelles. Aussi, ses thérapeutes lui conseillent de s’atteler à l’étude du chant. Il entre alors au conservatoire de Toulon où il devient rapidement lauréat puis à celui de
Marseille où quelques années suffisent pour qu’il y obtienne un premier prix.
Son mariage l’introduit dans le milieu
Le milieu musical marseillais fourmille de jeunes talents et c’est ici qu’émile rencontre Marie-louise Émilienne Bonduel née le 22 août 1886 également à Toulon. C’est une jeune pianiste, titulaire de prix de solfège et de piano, dont la famille est liée à de grandes personnalités musicales telles Claude Debussy, Xavier Leroux ou Camille Saint-saëns. Ils se marient à Toulon, le 7 juin 1913 dans les salons des parents Bonduel. Baignant totalement dans le milieu de la grande musique, le jeune baryton voit le chemin vers l’art lyrique s’ouvrir à lui. Marie-louise, qui conservera toujours un fort accent chantant provençal et qui passe pour timide et effacée, possède pourtant une forte personnalité. Cette petite femme qui fume le cigarillo lorsqu’elle reçoit dans ses salons pousse son mari à travailler et lui sert de pianiste de répétition. Elle le soutient et devient de fait pour Émile une sorte d’agent artistique. Commence alors une série d’auditions dans divers théâtres où les directeurs se montrent enthousiastes car le jeune possède, non seulement une très belle voix de baryton d’opéra-comique, mais est doté d’un physique de jeune premier. Après une première apparition sur scène à Toulon, ses contrats l’amèneront à multiplier les voyages. Il est en effet appelé à se produire sur les scènes de tout le pays et au-delà : Toulouse, Nancy, Strasbourg, Genève, Alger, Marseille, Tunis, Nantes. En 1924 il est engagé par le chef d’orchestre et directeur du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles Maurice Corneil de Thoran (1881-1953) dans la troupe du théâtre. S’il va y passer presque toute sa carrière, jusqu’en 1952, il continue à donner des récitals, concerts et rôles dans d’autres salles d’opéra comme Paris où il chante Papageno en 1928. Son physique avantageux lui donne une vraie légitimité à interpréter des rôles comme Don Juan dans le Don Giovanni de Mozart en 1931 ou le Comte des Grieux dans Manon de Massenet en 1940.
Charmeur et dépensier
Bel homme, Émile est un charmeur incorrigible qui entretient de nombreuses liaisons. Il se dit même que s’il n’a pas eu d’enfants avec Marie-louise, il aurait un fils illégitime et leur ressemblance ne laisserait que peu de doutes sur cette filiation. Il était capable de dépenser sans compter pour ses costumes de scène qu’il utilisait souvent dans sa vie courante, faisant dire à ses contemporains qu’il était un peu « théâtral ». Ses admirateurs le couvrent de fleurs, mais il a un accord avec un fleuriste qui lui reprend corbeilles et bouquets à moitié prix pour le revendre. Il possède une Peugeot 201 qu’il gardera jusqu’au bout… par économie ou nostalgie, nul ne sait ! Émile Colonne s’éteint le 13 mai 1970 à Bruxelles. Perfectionniste, il a réussi à donner un nouvel éclat au monde lyrique du XXE. Il est dommage que Toulon et la France ne gardent pas le souvenir de son enfant qui eut une si brillante carrière… mais hors ses murs.
Un répertoire d’interprétations impressionnant.
Sources : Un amour plus grand que la guerre de Paul Falkenback.