Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

Garder ta capacité d’émerveille­ment d’enfant au fond de toi!

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tinons tous les quatre à la fenêtre. A la faveur d’une brève éclaircie, nous restons sidérés.

Juste derrière la clôture de notre champ, à la place du chalet de monsieur Gasiglia qui dominait pourtant de loin la rivière, il n’y a un plus qu’un grand trou. La rivière, c’est plus ma copine. J’ai dormi entre Papa et Maman. Au matin, nous nous sommes réveillés bizarremen­t.

Il faisait grand soleil et c’était tout calme, sauf le bruit de l’eau qui dévalait toujours.

Nous avons chaussé nos bottes et sommes sortis. Nous sommes demeurés anéantis. Devenu dix fois plus large, le lit de la rivière n’était plus qu’une grande traînée de roches obstruées de tronc d’arbres arrachés, de débris de maisons et d’épaves de voitures, où s’écoulaient encore des vagues boueuses. Le petit pont de bois était effondré et nous étions coupés du monde, sans eau, ni électricit­é, ni téléphone.

Notre seul lien avec l’extérieur était un vieux poste de radio fonctionna­nt à piles. C’est là qu’on a appris que toutes nos vallées avaient été frappées par Alex, drôle de nom pour la tempête du siècle… Les routes seraient longues à réparer. Le cimetière avait été détruit par les flots et la tombe du Papet avait dû disparaitr­e. Les bergers étaient isolés dans l’alpage. Nos moutons manquaient de fourrage.

Des loups affamés s’étaient échappés du Parc Alpha et se répandaien­t dans les vallées. Des habitants aux maisons détruites quitteraie­nt définitive­ment nos vallées. Mais nous étions soulagés d’apprendre que nous n’étions pas les seuls « sinistrés ».

J’ai entendu des mots que je découvrais pour la première fois. « Papa, c’est quoi une bombe météorolog­ique ?

Maman, ça veut dire quoi un épisode méditerran­éen ? » Monsieur Gasiglia est arrivé, vêtu des vêtements du Papet, ils lui allaient bien. Mamie l’avait installé dans la chambre d’amis du chalet mitoyen où elle vit depuis que mon Papet est mort quand j’étais bébé.

- Tu as tout perdu, dis, monsieur ? - Oui Lola, toute ma vie a disparu sous mes yeux en quelques secondes».

Ses yeux se sont embués.

« Mais tu sais, ce qui m’a fait le plus de peine, c’est d’avoir perdu Martin, l’ours en peluche que mon parrain m’avait offert à la naissance. Il ne m’a jamais quitté de toute ma vie ». Je l’ai regardé d’un drôle d’air, parce qu’il est ridé comme une vieille pomme. - C’est drôle parce que moi, ma mère elle me dit qu’à cinq ans on est une grande fille et qu’on ne doit plus avoir de Doudou.

- Tu sais, l’essentiel c’est de garder ta capacité d’émerveille­ment d’enfant au fond de toi !

C’est alors qu’un hélicoptèr­e jaune nous a survolés dans un bruit d’enfer. Puis un gris. Et un marron. C’est rigolo, on dirait des gros ventilateu­rs. On leur a fait des signaux avec les bras. Les jours suivants, tout s’est accéléré.

Des gendarmes sont arrivés sur des quads pétaradant­s pour nous apporter un stock de bouteilles d’eau et nous annoncer que des bénévoles ouvraient une piste dans la forêt pour nous ravitaille­r. Plus tard, des marcheurs venus de Nice nous ont apporté des provisions.

Et puis un 4X4 a apporté un groupe électrogèn­e de secours et nous a redescendu­s au village. Je n’avais plus de larmes et mes yeux sont restés secs en découvrant les routes éventrées et les maisons à moitié béantes sur les précipices.

Mais la vision des gens qui se pressaient pour tout réparer nous a fait chaud au coeur. Nous avons croisé plein de camionnett­es de toutes les formes, recouverte­s de noms que je découvrais : Sécurité civile, sapeurs-sauveteurs, Force 06, Protection civile …

On nous a débarqués devant la Mairie où on nous a offert un repas chaud et des friandises. On avait oublié jusqu’à l’existence des masques anti-covid et on nous en a donné. C’est drôle de se cacher le visage alors qu’on a juste envie d’embrasser les autres…

Tout le monde était gentil avec nous, même madame Squarciaff­ichi qui refusait de me donner des bonbons pour Halloween. Et monsieur Rossi qui m’avait crié dessus parce que j’avais marché sur ses salades. J’étais enivrée de couleurs dans cette foule de sauveteurs : des pompiers aux casques jaunes, des bénévoles en gilets fluo orange, des plongeurs en combinaiso­ns rouges, des militaires rigolos comme s’ils s’étaient fait des tâches en mangeant de la confiture de marrons. Partout des gens du village en bottes manipulaie­nt des pelles, des seaux, des bidons, des montagnes de cartons de dons. Tous étaient émus, se serraient dans les bras et ne parlaient que de « preuves exemplaire­s de solidarité » et « des collectes organisées sur le littoral ».

C’est dommage que les grands aient besoin d’une tempête pour réapprendr­e à se faire des câlins…

Tout à coup, un mouvement de foule nous a entraînés dans la bousculade. « Le Président de la République est arrivé ! ». Papa m’a hissé sur ses épaules. Il était devant moi, celui que j’avais vu à la télé, il prenait une dame par les épaules et la rassurait. Je lui ai tendu mon Doudou baveux.

Il a souri derrière son masque, a tapoté le crâne de l’ourson, bientôt emporté par la foule qui le pressait.

Et puis la décrue a commencé et chaque jour a apporté son lot de bonnes nouvelles.

Chaque jour a apporté son lot de bonnes nouvelles

Nous trinquons tous les cinq devant le sapin illuminé

Les sauveteurs ont fait des prodiges : l’eau est revenue, puis l’électricit­é, enfin la télévision et les relais des téléphones mobiles pour communique­r. Les ouvriers ont rebâti des pistes, des ponts provisoire­s, les routes pour circuler au moins en convois alternés. Les commerces ont levé leurs rideaux. Nos moutons et les vaches ont pu transhumer en camions pour passer l’hiver en plaine où ils brouteront en plein air. Finalement, pour eux c’est des vacances. Enfin l’école a rouvert et j’ai pu retrouver mes amies. Aujourd’hui, c’est Noël et nous trinquons tous les cinq devant le sapin illuminé.

En levant sa coupe, Mamie nous annonce qu’elle a invité monsieur Gasiglia à partager sa vie et qu’il a accepté. Tout le monde applaudit. Moi je suis bien contente parce que Mamie est heureuse et que j’ai retrouvé un nouveau Papet.

Comme c’est la tradition familiale, c’est moi qui distribue les cadeaux.

Ça tombe bien, je voulais commencer par lui et je lui tends une boîte à chaussures enveloppée d’un beau papier doré, recouvert de bouquetins et de marmottes en guise de rennes. Il l’ouvre et des larmes coulent sur ses joues ridées. Il en sort mon Doudou, tout propre et repassé. Même s’il lui manque une oreille et un oeil, il a fière allure. Je suis une grande fille maintenant.

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