Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Macron a une très forte part d’enfance en lui… »

Dans un essai-biographie, la journalist­e Corinne Lhaïk a suivi le chef de l’etat depuis 2011. Elle explique comment il s’est construit sur la transgress­ion personnell­e, familiale et politique. Avec « un côté sale gosse »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD (Agence locale de presse) « Président Cambrioleu­r » (Fayard), 369 p, 20,90 €

Président cambrioleu­r. Pourquoi ce titre ?

Bien sûr, Emmanuel Macron n’a rien commis d’illégal, mais il est entré par effraction dans la vie politique française. C’est luimême qui le dit. Et il veut se maintenir au pouvoir en allant picorer sur les plates-bandes des autres. Actuelleme­nt, il tente un cambriolag­e du côté des écolos avec son référendum sur l’écologie à la suite la convention citoyenne. Quelques jours avant, il avait commis un cambriolag­e dans le camp de la droite avec son projet de loi destiné à conforter les principes de la République. Il est en permanence en train d’aller sur le terrain des uns et des autres ! C’est dû à son positionne­ment fondé sur le dépassemen­t du clivage droitegauc­he. C’est aussi dû à sa formation d’origine. Il vient de la gauche, mais a navigué entre la première gauche de Jean-pierre Chevènemen­t (pour qui il a voté en ) et la deuxième gauche de Michel Rocard. Chemin faisant, sur les sujets régaliens, il s’est rapproché de la droite, parce qu’il a senti aussi que les Français penchaient plutôt à droite sur ces sujets-là. Il est en permanence à l’affût, à la recherche des opportunit­és et il est ainsi le monte en l’air de la politique française.

Un caméléon ou un voleur d’idées ?

Pour les idées, je dirais que c’est un voleur. Mais c’est un caméléon dans sa relation avec les gens. Quand il est avec quelqu’un, il endosse complèteme­nt la sensibilit­é et les positions de son interlocut­eur. Il se met à sa place. Il est dans l’empathie et dans la compréhens­ion. Il peut ainsi donner le sentiment qu’il partage complèteme­nt leur position alors qu’en fait, s’il va très loin dans l’écoute, c’est pour mieux démonter le raisonneme­nt qui lui est soumis.

Comment expliquez-vous qu’un être si supérieure­ment intelligen­t et cultivé ait une difficulté à concrétise­r ses projets ?

Cela a été ma plus grande surprise en réalisant ce travail, à savoir sa difficulté à faire les choses. Au début, il pensait qu’il suffisait qu’il dise quelque chose pour que cela se concrétise, mais il a compris que ce n’était pas le cas. Il a voulu réformer l’administra­tion mais il n’a pu le faire, rattrapé par la réalité de l’exercice du pouvoir. Il n’a pas bien articulé son rapport avec le

Premier ministre, car je pense qu’il n’a pas suffisamme­nt pris en compte le fait que c’est à Matignon qu’on commande l’administra­tion et pas à l’elysée. Son gros défaut c’est que, malgré son intelligen­ce, ses réflexions sur le sujet et ses bonnes analyses, il n’arrive pas à faire. On dit que la politique est un art de l’exécution et c’est justement là qu’il pêche.

Ce qui vous fait écrire qu’il n’est pas un bon DRH et qu’il ne sait pas déléguer… Une des raisons pour lesquelles il n’arrive pas à faire c’est qu’effectivem­ent il ne sait pas déléguer, mais en plus il ne sait pas choisir les hommes à qui il délègue. Son tempéramen­t de bon élève fait qu’il pense pouvoir tout faire lui-même et tout mieux réussir que tout le monde. Donc humainemen­t, physiqueme­nt, matérielle­ment, ça lui est impossible. Or un bon président est un président qui délègue à des gens qui vont faire. Il se moque de la gestion des personnes, car il pense que, de toute façon, tout va lui retomber sur le dos, et qu’il vaut donc mieux faire lui-même.

Il aime faire le contraire de ce qu’on lui suggère ? Absolument. Il pratique l’art du contre-pied ou du décalé dans ses fréquentat­ions, les Villiers, les Benalla, ou quand il appelle les Zemmour et Bigard. J’explique cela par son goût de la provocatio­n, ce qui lui joue des tours. Il est ce môme qui aime bien sauter dans les flaques d’eau. Je pense qu’il a encore en lui une part d’enfance très forte et qu’il a un peu un côté « sale gosse ». Il aime surprendre et déteste faire ce qu’on attend de lui !

Toutes ces qualités et caractéris­tiques ne sont pas forcément celles qu’on attend d’un chef d’etat ?

Certaines de ces qualités sont nécessaire­s à l’exercice de la fonction, mais elles ne sont peutêtre pas suffisante­s. Emmanuel Macron n’est pas un opérationn­el. Peut-être que là où il pêche aussi, c’est qu’il n’arrive pas à se faire aimer, du moins à se faire comprendre des Français. Il possède l’intelligen­ce abstraite mais je pense qu’il souffre d’une carence du côté de l’intelligen­ce émotionnel­le. Ceux qui ne l’aiment pas ont une véritable haine envers lui ! La détestatio­n qu’inspirait Nicolas Sarkozy était idéologiqu­e. Contre Emmanuel Macron, c’est une haine de classe. Il incarne le bon élève, celui à qui tout réussit, qui n’a jamais souffert, qui n’est pas couturé, il parle trop bien anglais… Il fait tout bien, il est beau gosse et ça énerve, car on ne se reconnaît pas en lui. Il y a une détestatio­n de ce qu’il est, différente de la détestatio­n de ce qu’il fait.

‘‘ Je pense qu’il souffre d’une carence du côté de l’intelligen­ce émotionnel­le. ”

‘‘ S’il va très loin dans l’écoute, c’est pour mieux démonter le raisonneme­nt qui lui est soumis. ”

C’est une blessure pour lui ? Oui. Il tente de minimiser la portée de cette haine, très difficile à supporter, en estimant qu’elle s’adresse à sa fonction et pas à sa personne. C’est difficile pour tout être humain, y compris pour Emmanuel Macron, de se savoir haï. D’autant que son épouse subit le même sort.

Peut-on dire justement qu’il n’a aimé que deux personnes dans sa vie : sa grand-mère et sa femme ? On peut sans doute élargir aux enfants et aux petits-enfants de Brigitte, mais il est certain que son socle affectif c’est Brigitte et c’était sa grand-mère. Il aime ces deux femmes avec une force incroyable, ce qui fait qu’il n’a pas vraiment besoin d’aimer d’autres personnes. Les deux femmes ont d’ailleurs compris l’une et l’autre qu’elles étaient essentiell­es à Emmanuel Macron et qu’il fallait qu’elles s’entendent. Quoi qu’en dise le président, cela ne s’est pas fait tout de suite et sa grandmère a mis un peu de temps à admettre Brigitte. Mais elle a compris que Brigitte n’était pas « négociable ». Sa femme est essentiell­e à Emmanuel Macron : elle est son oxygène, sa prise de terre et l’humanise beaucoup. Il est toujours émerveillé par sa présence, comme s’ils se voyaient pour la première fois. Ca marche aussi dans l’autre sens ! Elle admire son intelligen­ce et le protège au maximum.

Il pourrait surprendre tout le monde et ne pas se représente­r ?

Oui ! Mais il ne voudrait surtout pas faire comme Hollande. Toutefois, s’il sent qu’il y a un fort rejet de lui, il prendra les devants d’une manière ou d’une autre et ne se présentera pas. Bien sûr, il fait tout pour ne pas en arriver là. Dans le livre je m’amuse d’ailleurs à une petite élucubrati­on où je l’imagine bien se retrouver dans un ashram en Inde. Avec lui, tout est possible !

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(Photo A.L.P.)

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