Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

«On est victime et on doit le prouver!»

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Ils se sont tous trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment, un soir de fête nationale à Nice. Chacun son histoire. Chacun ses blessures, physiques ou morales. Mais leurs récits sont souvent liés par un même ressenti: ce «parcours du combattant» ,depuis deux ans, entre suivi médical et démarches administra­tives. Trois victimes du 14-Juillet témoignent.

«Revivre l’horreur»

Ils étaient un groupe de huit amis. Ils ont esquivé le camion in extremis , en sautant. Rosa, 60 ans, a été grièvement blessée à l’épaule. Son mari a été légèrement blessé au genou. Celui d’une amie s’est rompu. Aujourd’hui, la guérison arrive à son terme pour Rosa. Mais cette FrancoPort­ugaise conserve 20 % d’IPP (incapacité permanente partielle). «On n’est jamais vraiment consolidé. Ça, c’est à vie!» Au moins Rosa et son mari ont-ils été rapidement indemnisés. 10000 euros de provision chacun, puis 5 000 de plus, en attendant le montant définitif. Mais « le plus difficile, c’est le psychique… » Rosa est passée devant le médecin-expert. « Il a dit que je n’étais pas en état d’être expertisée. Il faut replonger dans l’horreur, tout revivre… Seuls ceux qui ont vécu ce problème peuvent comprendre. C’est pourquoi on se réunit entre nous.» Chaque expertise est une «étape très compliquée». Rosa voudrait «bien que ça s’arrête.» Elle positive néanmoins: «On est en vie! On a cette chance, il faut profiter, croquer la vie à pleines dents.»

«Très compliqué»

Mediboye filmait un concert devant le Palais de la Méditerran­ée. Ce Mauritanie­n de 38 ans, qui vit et travaille en France depuis une décennie, était venu avec sa compagne. « Le camion nous a frôlés. On a sauté sur la plage. Je me suis fait mal au dos. Mais je suis tout de suite remonté pour aider, prendre les pouls, transporte­r les blessés, couvrir les morts… J’ai vu des images assez compliquée­s. Malheureus­ement, on est tous les jours dedans.» Mediboye raconte ces deux années chaotiques. «Je n’ai pas voulu me faire suivre psychologi­quement. Je pensais être assez fort… Je me suis réfugié dans le boulot, au point de prendre un deuxième travail. Malheureus­ement, notre couple a volé en éclats. On s’est séparés… » Puis est arrivé le 14 juillet 2017. Les commémorat­ions. Et ce contrecoup violent. « Ce jour-là, je me suis retrouvé tout seul. J’étais très mal. J’ai cru devenir fou! » Enfin, Mediboye a entrepris les démarches. « Tout ce que je voulais, c’était un soutien psychologi­que et médical.» Psychologu­e, rhumatolog­ue, sophrologu­e, chiropract­eur… Mediboye a tout payé de sa poche. Jusqu’à l’interventi­on de « Promenade des anges ». Désormais, il est suivi par un psychologu­e de l’associatio­n Montjoye et un psychiatre. Mais il reste «en grande difficulté». À cause des soucis financiers, des « jours sans » au travail, des douleurs persistant­es aussi. Cette nuit-là, sur la Prom’, Mediboye estime avoir « juste fait ce qu’[il] apu, sans chercher une quelconque reconnaiss­ance ». Pourtant, la gestion de «l’après» lui laisse un goût amer. «Pour avoir des provisions, c’est une galère, un vrai parcours du combattant. Ils nous bombardent de questions et nous mettent en difficulté pour quatre sous. On est victime et en plus, la charge nous revient de le prouver ! Nous, on a juste besoin d’être accompagné­s. Pour pouvoir aller bien.»

«Tout à reconstrui­re»

Elle est «en colère» . Et elle pèse ses mots. Bien que traumatisé­es par ce funeste 14-Juillet, Gwendoline et sa

(1) famille ont vu leur demande d’indemnisat­ion rejetée. «Parce qu’on était devant le camion, pas derrière. Dans la plainte, j’ai bien indiqué qu’on était devant le Ruhl. Mais ils ont écrit “Devant le Méridien ”…» Dont l’entrée ne donne pas sur la Prom’. Simple erreur lourde de conséquenc­es? Quoi qu’il en soit, Gwendoline et ses enfants, «mangés par la foule», se sentent victimes. À double titre. Requise pour protéger les siens - il lui a fallu deux heures pour retrouver sa fille -, cette infirmière n’a pu aider sur la Prom’. Depuis, elle est rongée par la culpabilit­é. «Quelque part, ce jour-là, je suis morte intérieure­ment… » Depuis, Gwendoline n’a pu reprendre son travail. Sa famille, elle, «part en live». Fils déscolaris­é, crises de somnambuli­sme… Même hors du périmètre de l’attentat, l’onde de choc a fait son oeuvre. Et chaque nouvelle attaque de camion «les replonge dans ce p… de 14-Juillet. Ah, il a bien choisi sa date! », fulmine Gwendoline. À présent, elle a «tout à reconstrui­re» .Et appelle à « une vraie politique de prise en charge des victimes. Pas de pleurer à chaque commémorat­ion.» 1. Son prénom a été modifié à sa demande.

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(Photo C. C.) Le processus d’expertise est souvent mal vécu par les victimes.

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