Nice-Matin (Nice Littoral et Vallées)

« Me reconstrui­re c’est plus qu’un combat, une guerre »

Nicole Mondino, Niçoise d’adoption de 68 ans, a été grièvement blessée et a perdu sa meilleure amie. Admise dans un centre à Antibes, elle soigne ses séquelles physiques mais surtout morales

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Elle nous accueille dans sa petite chambre proprette, au Pôle Antibes Saint-Jean, assise dans le fauteuil roulant qu’elle a découvert lundi. « Le lit, j’y ai passé près d’un mois; je ne pouvais plus le voir! » Ses lèvres dessinent un sourire triste, ses yeux disent la confusion des sentiments. Le 14 juillet à Nice, Nicole Mondino a été grièvement blessée. Dans sa chair. Dans son coeur. Dans sa tête, surtout. Mais à bientôt 69 ans, Nicole reste une battante. Alors elle parle de son combat, de sa « guerre » même, des équipes médicales qui l’épaulent. Et de Jacqueline Wurtlin, l’amie fidèle, qu’elle ne reverra plus. Nicole Mondino parle avec l’accent de son Argentine natale, qu’elle a quittée en 1986 pour un Français et la Côte d’Azur. Bien qu’elle ait conservé la nationalit­é argentine, aujourd’hui plus que jamais, Nicole se sent française. « Niçoise », même. Fidèle à sa ville d’adoption, dont la baie des Anges, jadis, l’éblouissai­t à chaque approche d’avion. Cette promenade des Anglais où le tueur au camion l’a percutée un soir de fête nationale.

« Le camion nous a prises par derrière »

Le 14 juillet, Nicole Mondino vient de quitter un hôpital, déjà, à la suite d’une opération des sinus. « Comme j’étais seule, Jacqueline a proposé de venir me chercher. Elle est venue de la Seynesur-Mer, et on a passé la journée ensemble ». Le soir venu, les deux amies regagnent le quartier de la Madeleine, et le logement social où Nicole vit avec sa maigre retraite de 700 euros. La chaleur est suffocante. La télévision en panne. « Je me sentais tellement gênée de la

Nicole Mondino, réconforté­e par Marie-Céline Cougnon, cadre de santé du Pôle Antibes Saint-Jean.

recevoir dans ces conditions... Il était 9 h 30 du soir, je lui ai dit : “Écoute on n’est pas loin, on va voir le feu d’artifice”. C’est à cause de ça qu’on est allées à la plage... » Les deux amies arpentent la Prom’ jusqu’aux abords du palais de la Méditerran­ée. S’étonnent, au passage, de ne pas voir de policiers en tenue. Il y a foule, en revanche. Alors Nicole, encore convalesce­nte, glisse à Jacqueline : « “On va de l’autre côté, il y a moins de monde”. Ce sont les dernières paroles que je lui ai dites », soupire la retraitée d’un air las. Nicole Mondino n’a pas vu le camion. « Il nous a prises par derrière. On n’a rien entendu. Il y avait beaucoup de bruit, quelques bruits étranges d’accord, mais jamais on n’aurait imaginé une chose pareille! On a été projetées toutes les deux. » Projetée, pour sa part, contre un palmier. Ceci explique que seul son côté droit ait été atteint. Nicole est évacuée dans un palais de la Méditerran­ée reconverti en hôpital de fortune. Elle est sévèrement touchée. Traumatism­e crânien avec perte de connaissan­ce et plaie saignante, épaule douloureus­e, contusions sur tout le flanc droit, fracture aux orteils, fracture à la main récemment diagnostiq­uée. Sans parler de ses lunettes, perdues dans le choc. « Je ne vous dis pas les baffes qu’ils m’ont mis pour me réveiller! Je n’avais aucune idée d’où j’étais. C’était comme dans un cauchemar. Je hurlais de douleur. Mon bras était noir de haut en bas. Un civil n’arrêtait pas de me parler pour me tenir éveillée. Raphaël, il s’appelait... » Plan blanc oblige, Nicole est transférée dans la nuit à l’hôpital de la Fontonne. En longeant la Prom’ jonchée de corps, elle apprend qu’elle a été victime d’un attentat. Deuxième blessure. Elle en subira une troisième, terrible aussi, en apprenant quelques jours plus tard que le 84e nom de la funeste liste est celui de Jacqueline. « Quand j’ai appris le décès de ma copine, j’aurais pu tuer, assure Nicole, mâchoires crispées. Depuis l’enfance, j’ai toujours eu un sentiment de justice très développé. On n’a pas le droit de faire ça... On peut avoir des idées, des religions, mais pas réagir comme au temps des croisades. C’est innommable! »

« À mon arrivée ici, j’étais très mal »

Séparée de son mari, loin de son fils et ses petits-enfants établis à Paris, Nicole Mondino avait noué une amitié forte avec Jacqueline Wurtlin, rencontrée il y a sept ans. Un camion fou lui a arraché sa « copine », en même temps que sa propre mobilité. « On voulait rassembler nos enfants et petits-enfants. On l’a fait... Mais pas comme on l’avait imaginé. À ce qu’on m’a dit, elle n’a pas souffert. C’est la seule chose qui me tranquilli­se un peu. » Pourtant, à son arrivée au Pôle Antibes Saint-Jean, Nicole était irascible. Incontrôla­ble. « Psychologi­quement, j’étais très très mal. Je ne supportais pas les gens. Je faisais voler le petit-déjeuner, les infirmière­s partaient en pleurs... C’était terrible. » Peu à peu pourtant, le personnel attentionn­é la calme. avec soi-même, non? » Sa rééducatio­n est rythmée par ces petits pas aux airs de grande victoire : quitter son lit pour le fauteuil, s’essayer au déambulate­ur... Surtout, franchir le cap fatidique : se confronter aux autres patients. C’est chose faite depuis que Nicole, passé trois semaines, a fini par gagner la salle de dîner. « Avant, elle ne descendait pas au restaurant. Elle a remis un pied dans la société », sourit Marie-Céline Cougnon, la cadre de santé.

« J’appréhende le jour où je sortirai »

Nicole a fait mieux encore : elle a une nouvelle amie, Josiane. Et ce, grâce au Scrabble et au Rubik’s Cube. « Je ne suis pas une grande joueuse... Mais ça me fait du bien de parler et d’améliorer mon français. Josiane m’apporte beaucoup. Désormais, on partage la même table. » Dans sa chambre, Nicole regarde les dessins animés à la télévision – « la seule chose que je supporte ». Mais elle suit l’actualité. S’indigne des polémiques qui ont éclaté dès le 15 juillet, des « nombreux mensonges de tout le monde ». S’émeut, en fervente catholique, de l’assassinat du prêtre de SaintÉtien­ne-du-Rouvray. S’inquiète des dérives islamistes, aimerait voir les citoyens s’impliquer davantage, suggère des pistes radicales en réaction à une menace extrême. Alors, dans son fauteuil roulant, Nicole se bat. Pour pouvoir à nouveau profiter de sa famille, pouvoir s’impliquer davantage dans son comité de quartier. Elle le reconnaît : «Leplusdur,cesont les blessures psychologi­ques. Il faut trouver la force pour se battre. Contre l’invisible. Et contre soi-même. » Dans un souffle, Nicole confie : « J’appréhende énormément le jour où je sortirai. Parce qu’ici, je me sens protégée. » Elle fera néanmoins tout pour. Pour Jacqueline, insiste-t-elle, les larmes aux yeux. « Je retournera­i en Argentine refaire le voyage qu’on avait fait ensemble. Mais j’irai avec sa petite-fille. Oui, un jour, je l’emmènerai... Si je le peux. »

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(PhotoF.Bouton)

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