« Bardella aurait sans aucun doute beaucoup plus de pouvoirs que Giorgia Meloni en Italie »

Étienne Ollion, chercheur en sociologie au CNRS

Peut-on comparer Giorgia Meloni en Italie et Jordan Bardella en France ? Une arrivée au pouvoir du RN en France aurait des « impacts beaucoup plus forts » ,estime le sociologue Étienne Ollion, qui mène une enquête de terrain en Italie sur la pratique du pouvoir de la cheffe du gouvernement.

L’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni peut-elle éclairer la situation en France ? Il y a quand même des différences. L’extrême droite fait partie de la vie politique italienne depuis très longtemps. [...] Et cette idée de nouveauté radicale du RN n’existait pas en Italie. Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia) et Matteo Salvini (Lega) avaient déjà été ministres. En France, le RN n’a pas gouverné au niveau national, et c’est un argument qui le porte. Cela fait des campagnes assez différentes. Jordan Bardella s’est beaucoup placé sur le mode de la dédiabolisation pour lisser l’image du RN [alors qu’en] , Giorgia Meloni avait mené une campagne assez violente [...].

A-t-elle édulcoré son programme en exerçant des responsabilités ? Après une campagne menée tambour battant contre l’immigration, il y a eu un exercice du pouvoir qui a été tempéré dans les premiers mois, au moins sur la façade. [...] La réalité économique l’a frappée : elle a été obligée d’accorder des centaines de milliers de visas à des travailleurs extra-européens.

L’Italie avait besoin de main-d’oeuvre et de financer sa protection sociale, un sujet crucial en raison d’un taux de natalité extrêmement faible.

Elle continuait d’avoir des discours antimigrants, mais dans la pratique, elle a mis beaucoup d’eau dans son vin. Mais c’est en train de changer.

Il y a eu une répression très forte des mouvements sociaux [...] et une politique très dure sur la liberté de la presse. Elle s’en prend aussi beaucoup aux ONG [...]. Il y a une dialectique entre un apaisement de façade et un tour de vis depuis quelques mois.

La pratique de Bardella s’il parvient au pouvoir serait-elle similaire ?

Je pense que ça aurait des impacts beaucoup plus forts. L’exécutif italien n’est finalement pas si fort [...].

Le parlementarisme [y] est beaucoup moins rationalisé qu’en France.

Et c’est un pays décentralisé, avec des équilibres qui se font beaucoup plus au niveau régional. S’il a une majorité absolue ou quasiment, Jordan Bardella aurait sans aucun doute beaucoup plus de pouvoirs [du fait d’]un État relativement centralisé avec assez peu de contre-pouvoirs. Et il y a la pratique des institutions. Depuis plusieurs années maintenant, l’exécutif utilise des ., des votes bloqués [...], en soulignant que cela fait partie de la panoplie des outils légaux. Cela légitime complètement leur usage par un gouvernement autoritaire après.