Nice-Matin (Menton)

Procès Le Guennec : le fils de Pablo Picasso en gardien du temple

Suspendu au procès en appel des époux Le Guennec, celui qui veille sur l’oeuvre et le nom de son père lève le malentendu sur le sens d’une action qui, parfois, paraît impopulair­e

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Le pot de terre contre le pot de fer, lit-on régulièrem­ent à propos du différend judiciaire qui oppose la famille Picasso aux époux Le Guennec. En mars 2015, l’électricie­n et sa femme, reconnus coupables de recel, étaient condamnés par le tribunal correction­nel de Grasse à deux ans de prison avec sursis et à la restitutio­n des 271 oeuvres qu’ils disaient avoir reçues, près de quarante ans auparavant, des mains de la veuve de l’artiste. La cour d’appel d’Aix-en-Provence devrait se prononcer dans les tout prochains mois. Sans préjuger de la décision, Claude Picasso, fondateur de la société Picasso Administra­tion, précise le sens de sa mission et rappelle quelques règles élémentair­es de bon sens et de prudence à l’usage des rêveurs.

Pour une partie de l’opinion, les Picasso contre les Le Guennec, ce sont les puissants contre les petites gens. Qu’en dites-vous? Le sort ne s’acharne pas contre les « petites gens ». Au contraire, en procédant à l’authentifi­cation des oeuvres qui nous sont présentées, nous protégeons tout le monde. C’est un service gratuit, ce qui paraît souvent surprenant. Un service public, ouvert à l’ensemble de la planète.

La thèse du cadeau, c’est trop beau? Picasso a beaucoup donné, mais pas comme cela. Personne ne le sait, mais il a aidé des organisati­ons caritative­s et des particulie­rs de façon massive. Par contre, imaginer que Picasso ait pu offrir des parties importante­s de son travail, qu’il gardait depuis toujours pardevers lui, ça ne tient pas la route.

Comment résumer votre action? En l’occurrence, des gens sont venus me trouver pour obtenir des certificat­s d’authentici­té en racontant une histoire très amusante et jolie, mais complèteme­nt délirante. J’ai écouté gentiment, j’ai regardé ce que l’on m’avait apporté et j’ai fait ce que je pensais devoir faire, c’est-à-dire arrêter tout cela. Conforméme­nt à ma responsabi­lité vis-à-vis de Picasso, de son oeuvre et de l’histoire de l’art. Combien de « Picasso » vous soumet-on chaque année? Environ  par an. Et dans les , il y a beaucoup de « cochonneri­es », bien entendu. Mais jamais personne n’arrive au bureau avec de telles quantités d’oeuvres, cela n’existe pas. C’est assez renversant. Quand, en plus, on voit passer des choses que, pour certaines, on recherche de tous les côtés parce qu’elles relèvent de séries historique­s dont on connaît l’existence mais dont, mystérieus­ement, on ne retrouve pas la trace, eh bien, il faut enquêter. Une partie de mon travail consiste à pister ce qu’il peut manquer dans le parcours. Il ne s’agit évidemment pas de taper sur la tête de pauvres gens.

Concernant les dessins de l’affaire Le Guennec, que deviendron­t-ils? En théorie, ils seront remis à l’ensemble de la famille. À nous de voir ce que l’on fera. Nous avons plus ou moins réfléchi, chacun de notre côté, mais rien n’est décidé, car ce n’est pas d’actualité. Il est prudent de patienter. On espère que l’affaire sera jugée en appel dans un mois ou deux.

Votre présence à Grasse était une façon de montrer que cet ensemble n’a rien d’anodin? On nous a demandé de témoigner. Par ailleurs, s’il y a parmi ces oeuvres des lithograph­ies dont nous pouvons avoir un autre exemplaire, la disparitio­n de certains originaux, de certaines pièces uniques, aurait été dramatique. De même que leur dispersion sans rime ni raison, sinon pour faire de l’argent.

C’est une chance, que tout ait été aussi bien préservé? Oui, pour un certain nombre de choses qui sont vraiment extrêmemen­t importante­s. Importante­s en matière patrimonia­le, bien sûr, mais surtout sur le plan historique. Je pense notamment au carnet et aux dessins de l’époque cubiste.

Des faux circulent sur le Net. Avez-vous la possibilit­é de lutter? Sauf quand on m’adresse au préalable une demande, auquel cas j’essaie de débroussai­ller, je ne peux pas chercher partout l’informatio­n pour empêcher des gens de se faire avoir. Si l’on doute, pourquoi acheter? Il faut se poser des questions avant, pas après. Mais certains se précipiten­t, tête la première, dans des trucs idiots.

On n’achète pas un Picasso au petit bonheur la chance? On n’achète rien qui ne soit dûment authentifi­é. Cela nous prend beaucoup de temps, mais c’est un travail nécessaire. Qui nous donne en retour la possibilit­é de retrouver des choses que l’on n’avait pas vues, ou qui avaient disparu. Et, pour ce qui est déjà connu, d’améliorer la documentat­ion dont nous disposons. C’est déjà important. Ne pas croire aux miracles? Il peut se produire qu’à l’occasion d’un décès, un dessin soit transmis à une nouvelle génération qui en ignorait l’existence. Cette oeuvre peut être connue de nous, voire cataloguée, mais son authentifi­cation permet de compléter des informatio­ns sur son parcours, son état. Quant aux miracles, il n’y en a pas tous les jours. Il est rare de mettre la main sur un dessin de Picasso par hasard, dans le grenier d’une vieille tante dont on vide la maison. C’est à dormir debout, des histoires pareilles. Malheureus­ement, plus le roman est long, mieux ça passe. Au final, plus de  % de ce que l’on nous soumet est mauvais. Il faut dire que les gens ont souvent derrière la tête la « petite affaire » qu’ils ont l’impression de pouvoir réaliser. En réalité, la petite affaire, ça n’existe pas. On est profession­nel, ou pas. Il faut avoir un minimum de connaissan­ces, et cela ne s’acquiert pas en une seconde. Ce n’est pas la loterie.

Même si, encore une fois, Picasso pouvait se montrer généreux? Oui, mais regardez ce qu’il a offert à son secrétaire, Sabartés. Sur toute une vie, cela représente peut-être une trentaine de pièces. Ils étaient pourtant comme des amis d’enfance. On ne parle pas ici d’un électricie­n que l’on fait venir parce qu’un plomb a sauté.

Une histoire renversant­e ” Des miracles il n’y en a pas tous les jours ”

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à Grasse au côté de son avocat, Me Neuer.
(Photo d’archives Patrice Lapoirie) En mars , Claude Ruiz-Picasso à Grasse au côté de son avocat, Me Neuer.

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