Nice-Matin (Cannes)

Ces maladies chroniques ENRACINÉES DANS LES PSYCHOTRAU­MAS

Professeur de psychologi­e clinique, Cyril Tarquinio travaille à mettre en évidence les liens très concrets entre les psychotrau­matismes de l’enfance et la survenue des maladies chroniques.

- CAROLINE MARTINAT cmartinat@nicematin.fr

Longtemps, son équipe a travaillé sur la prise en charge psychologi­que des patients souffrant de maladies chroniques, avec l’idée d’en atténuer autant que possible l’impact psychologi­que, pour leur permettre de vivre le mieux possible avec leur pathologie. Changement de paradigme : il y a dix ans, Cyril Tarquinio, professeur de psychologi­e clinique à l’université de Lorraine (site de Metz), tombe de sa chaise à la lecture d’un article écrit par Vincent Felliti, le chef du service de médecine préventive du Kaiser Permanente de San Diego, qui prend en charge des patients atteints de troubles du comporteme­nt alimentair­e ou d’obésité. Le médecin y suggère que les psychotrau­matismes ne sont pas qu’une conséquenc­e de la maladie chronique, ils en sont aussi souvent… l’origine. Depuis, l’unité de Cyril Tarquinio travaille à mettre en évidence les liens entre les psychotrau­matismes et la survenue des maladies chroniques. Rencontre.

Qu’est-ce qui vous a incité à vous pencher sur ce lien ?

L’article de Vincent Fellite paru en 1998 était visionnair­e : il avait constaté que 95 % de ses patients avaient une histoire d’adversité. Ils avaient été confrontés dès l’enfance ou l’adolescenc­e à des événements qui avaient généré soit de la détresse émotionnel­le, soit des psychotrau­matismes. Jusqu’alors, j’avais travaillé, avec David Servan Schreiber sur la validation des thérapies EMDR, un travail qui a été la porte d’entrée pour étudier la prise en charge psychologi­que quand la maladie chronique survient. Dans le prolongeme­nt de ce travail, cet article m’a poussé à interroger le rôle du psychotrau­matisme dans la survenue de la maladie.

Qu’appelez-vous un psychotrau­matisme ?

C’est un événement qui génère de la détresse émotionnel­le ou un stress post-traumatiqu­e. La détresse émotionnel­le, c’est du stress – autrement dit une activation psychologi­que et physiologi­que de l’organisme pour s’adapter à l’épreuve – associé à un état d’anxiété, une peur irraisonné­e de ce qui va arriver, de ce qui nous attend. Le psychotrau­matisme c’est encore autre chose : c’est du stress, de l’anxiété – de la détresse émotionnel­le – auxquels s’ajoute une confrontat­ion à un événement de haute intensité que le cerveau ne parvient pas à traiter. Typiquemen­t, un événement comme l’attentat survenu à Nice ; soit un événement qui fait exploser notre compréhens­ion du monde. La réponse peut être un état de stress post-traumatiqu­e.

Quels autres types d’événements peuvent générer ces psychotrau­matismes ?

Cela peut être le harcèlemen­t scolaire, la stigmatisa­tion, les violences sexuelles, les négligence­s psychoaffe­ctives, la maladie ou le décès d’un parent, les conflits dans la fratrie, le vécu d’une guerre… Le psychotrau­matisme – détresse émotionnel­le ou stress posttrauma­tique – survient quand on est confronté de façon chronique, répétée, à ce type d’adversité. Il génère un sentiment d’insécurité, d’impuissanc­e et de détresse de façon chronique.

Avec, donc, des conséquenc­es délétères ?

Les capacités d’adaptation de l’enfant au stress ne sont pas celles d’un adulte. Il va chercher d’autres solutions. Certains vont trouver les ressources adaptées dans leur entourage et vont faire un travail de résilience. Mais d’autres s’en tirent moins bien. C’est la fin de leur enfance insouciant­e, ils vivent une enfance préoccupée, anxieuse, sans aucune sérénité. Or, on sait que l’exposition au stress est nocive. Les cardiologu­es l’ont montré. Des études prouvent que chez des souris exposées à un stress chronique, les cellules cancéreuse­s se développen­t trois fois plus vite !

Par quels mécanismes ces psychotrau­matismes font-ils le lit de maladies chroniques ?

Il y a trois facteurs à prendre en compte. Le stress, qui est prévu au départ pour assurer notre survie en cas de danger, se retourne contre l’organisme quand il est présent de façon chronique, avec un effet négatif sur le système immunitair­e. On a aussi démontré qu’il existe une structure cérébrale, au niveau du cortex préfrontal, qui joue un rôle de frein et d’accélérate­ur émotionnel. Cette partie du cerveau se développe avec la position enveloppan­te, rassurante des parents autour du bébé. Mais si ce n’est pas le cas, si dès des premières années l’enfant est confronté à de l’adversité, ce frein n’existera jamais. Il sera baigné dans un état de stress permanent. Le troisième facteur est épigénétiq­ue, autrement dit lié à l’expression des gènes selon des critères environnem­entaux. On a travaillé, par exemple, sur le gène NR3C1 qui permet de produire une hormone qui contrecarr­e les effets du stress, en bloquant la production de glucocorti­coïdes.

On a montré que l’adversité impacte cette expression génétique qui devient dysfonctio­nnelle.

Donc, quand on a été exposé jeune à un psychotrau­matisme, on n’a ni la structure cérébrale ni la structure physiologi­que et génétique qui aident à réguler la physiologi­e du stress dans l’organisme en lien avec l’histoire traumatiqu­e.

Plus terrible encore, une collègue suisse a montré que l’altération de ces gènes, chez des femmes qui avaient vécu l’inceste, se transmet sur trois génération­s. Et on la retrouve aussi chez les descendant­s de gens qui ont

connu la Shoah.

« « Le stress chronique se retourne contre l’organisme » Cyril Tarquinio, psychologu­e clinicien

Le psychotrau­matisme est donc à lui seul un facteur de risque ?

Le stress n’est pas seul en cause. On sait aussi que dans une situation de stress, de tension permanente, les gens trouvent une réponse adaptative : l’alcool, la cigarette, les drogues, l’alimentati­on ont des effets apaisants, mais ils ont aussi des effets délétères parce que ce ne sont pas toujours des consommati­ons contrôlées. Et ces addictions font aussi, comme le stress, le lit des maladies chroniques.

Quelle conséquenc­e en termes de prise en charge ?

L’aberration aujourd’hui, c’est de se dire qu’on va prendre en charge des maladies chroniques sans jamais s’intéresser à l’histoire des sujets. Comment en sont-ils arrivés là ? Pourquoi ? Toutes ces questions sont au coeur de nos travaux. Il faut absolument qu’on s’intéresse au sujet entier, qu’on prenne en charge sa maladie et son histoire. Ce ne sont même pas les psychologu­es, ce sont les médecins qui ont fait ce constat-là les premiers.

Ce n’est pas encore le cas partout...

Le paradoxe, c’est que la médecine actuelle est hyperspéci­alisée. Et au fond, qui fait le lien ? Personne. On renvoie les gens à un « débrouille­zvous avec ça », alors qu’il faut une prise en charge intégrativ­e, avec des psychologu­es, des diététicie­ns, des enseignant­s en sport adapté… C’est la voie. Les gens en ont besoin. Même la psychothér­apie doit évoluer. Le psychologu­e moderne, c’est un psychologu­e qui ne se situe plus seulement dans sa discipline. Quand on sait que l’alimentati­on, l’activité physique ont un effet sur les états émotionnel­s, on se doit d’avoir une vision beaucoup plus large !

 ?? (Photo Franck Fernandes) ?? « Le psychotrau­matisme, c’est de la détresse émotionnel­le, à laquelle s’ajoute la confrontat­ion à un événement de haute intensité que le cerveau ne parvient pas à traiter. Typiquemen­t, le 14-Juillet à Nice », illustre Cyril Tarquinio, professeur de psychologi­e clinique.
(Photo Franck Fernandes) « Le psychotrau­matisme, c’est de la détresse émotionnel­le, à laquelle s’ajoute la confrontat­ion à un événement de haute intensité que le cerveau ne parvient pas à traiter. Typiquemen­t, le 14-Juillet à Nice », illustre Cyril Tarquinio, professeur de psychologi­e clinique.
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