Nice-Matin (Cannes)

Les enseigneme­nts du crash-test

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D’un expert à l’autre, la mission n’a pas changé. Il s’agit de déterminer si de grosses jardinière­s en bois ou des séparateur­s mobiles de voies (SMV), autrement dit des glissières en béton, auraient pu stopper le camion-bélier, le freiner, ou encore dévier sa course. En février 2020, lors du premier crash-test, un poids lourd avait été lancé sur ces deux dispositif­s anti-intrusion à 37 km/h, vitesse moyenne alors estimée sur la Prom’. Bilan : des jardinière­s l’auraient à peine freiné de 5 km/h. Et des SMV l’auraient ralenti de 8 km/h. Pour ce crash-test, l’expert avait utilisé des SMV d’1,3 t et 2,4 m de long. La Ville en possédait vingt-six de ce type en 2016. Elle détenait aussi dixneuf SMV plus robustes, de 2,1 t et 3,7 m. Ce sont ces glissières-là qui ont servi au second crash-test, réalisé fin mai 2021 sur une piste d’essai dans l’ain, comme la fois précédente. Le poids lourd a été lesté pour parvenir au même poids que celui du terroriste : 9,3 t. Celui du premier crash test n’en pesait « que » 8,9. Cette fois, l’engin a été lancé deux fois plus vite : 73 km/h. « Une vitesse déterminée par l’analyse des images de télésurvei­llance », justifie l’expert. Il s’agit là de la vitesse maximale recensée lors de sa course meurtrière.

Le poids lourd rendu inutilisab­le

Les images sont spectacula­ires. Image

par image, l’expertise montre l’impact du camion sur une rangée de glissières de sécurité, solidement arrimées entre elles par des clavettes de verrouilla­ge. On voit le poids lourd se cabrer tel un pur-sang furieux. « Le véhicule monte à plus de 1,50 m de haut sur l’impact et retombe 20 m plus loin, décrit l’expert. Un conducteur éventuel heurterait violemment le volant et ne contrôlera­it plus ni les pédales ni les commandes. » En l’occurrence, personne ne se trouvait à bord pour ce test grandeur nature. À vrai dire, l’enjeu est ailleurs. Du côté des glissières de béton, déjà. Le SMV central a été coupé en deux. Les latéraux ont été projetés et mis au sol. Mais ils sont restés arrimés entre eux. Le camion, à présent : Il a fini sa course quelques dizaines de mètres plus loin. Il paraît bien mal en point. À l’avant, toute la partie inférieure a été désintégré­e. Le train avant a reculé. « La roue avant gauche est coincée

sur le passage de roue, bloquant la direction », écrit l’expert. Diagnostic : le violent impact a « rendu le véhicule inutilisab­le car non manoeuvrab­le ».

Plusieurs cas de figure étudiés

En marge de ce test tout de bruit et de poussière, l’expert a fait appel aux outils numériques. Il a simulé l’impact à l’aide d’un logiciel de calcul spécialisé. Constat : le camion décélère nettement après le choc, passant de 73,6 km/h à 45,8 km/h. La vitesse chute même de moitié (36,1 km/h) avec deux lignes de SMV successive­s, disposées de manière à laisser passer les véhicules de secours. Le logiciel a passé plusieurs options au banc d’essai. Première configurat­ion : deux lignes de SMV en chicane, sur le trottoir, au niveau du boulevard Gambetta. Un tel dispositif « ne permettait pas d’empêcher l’attentat mais d’en limiter les conséquenc­es », conclut l’expert. Seconde configurat­ion : en quinconce. Une option plus résistante. « Le camion lancé à 60 km/h est arrêté par ce type de chicane. » 60 km/h, c’est la vitesse estimée au moment de son arrivée à Gambetta, à l’entrée de la zone piétonnisé­e.

Le bilan aurait été moins lourd

Quels enseigneme­nts tirer de cette contre-expertise ? « Ce type de barriérage ne permet pas de stopper net un poids lourd de près de 10 t lancé à 73 km/h, convient l’expert. Mais il provoque un net ralentisse­ment et des dommages immédiats importants ne permettant plus son utilisatio­n. » Même des glissières en béton lourdes de deux tonnes, disposées en chicane, n’auraient « pas empêché un attentat ». Mais elles auraient « considérab­lement réduit le bilan des pertes humaines et le nombre de blessés. » L’expert estime qu’elles auraient permis de stopper un poids lourd « quelques dizaines de mètres après son intrusion ». Passé Gambetta, le terroriste a encore parcouru 600 m. 33 des 86 morts ont été recensés sur cette portion. Le soir de l’attentat, les SMV sont restées au hangar. Mais ont-elles été évoquées, voire réclamées ? C’est l’une des questions en suspens. L’expert répond au moins à l’une d’elles : selon lui, lors de l’euro de foot qui s’était achevé quatre jours plus tôt, la Ville aurait bien mis en place des SMV réclamés par L’UEFA.

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(DR) L’expert a pu visionner les images de vidéoprote­ction de la Ville de Nice, qui ont ensuite été diffusées lors du procès à Paris.

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