Nice-Matin (Cannes)

« Je crains de voir s’éteindre les actions promises à un très haut niveau »

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Impression­né, affecté, l’artiste vient de lancer sur www.karmadon.org une tombola au profit des familles durement touchées. Sa mini-moto, deux manuscrits de Cabrel, les chaussures d’adjani, un envoi de Deneuve, des maillots signés par le PSG ou L’OGC Nice, ou encore la guitare dédicacée de Sirkis (Indochine) : les cadeaux de ses amis ont déjà permis de récolter 350 000 euros. « Juju » veut faire davantage. Il promet de revenir. Et de faire du battage pour que le sort de cet arrière-pays meurtri ne sombre pas dans l’oubli.

Votre bilan après ce séjour auprès des sinistrés ?

C’était intense et, paradoxale­ment, chaleureux. Cela m’a beaucoup ému de constater qu’il y avait chez les personnes que j’ai rencontrée­s une énergie et une volonté d’imaginer la suite, un lendemain, un espoir, auxquelles je ne m’attendais pas forcément après un traumatism­e comme celui-là. Pour réussir à s’organiser dans des villages qui, pour certains d’entre eux, sont encore coupés du monde, il faut vraiment une foi puissante. J’ai mesuré. C’était important pour moi. Je ne pouvais pas me contenter de lancer cette idée de tombola et d’appeler des amis artistes, sans venir sur place. À Saint-martin-vésubie, où je me sens un peu chez moi. Mais aussi dans l’ensemble de ces vallées où les besoins sont immenses.

Que vous ont-ils dit ?

Une phrase est revenue très souvent : « merci d’être là ». Que l’on me confie en premier lieu cette peur de l’oubli, c’est très symbolique. Avec mes petits moyens, j’ai lancé cette initiative au côté du Secours populaire pour porter au quotidien un message, une utilité, une présence. Maintenant, le vrai pouvoir d’action, on sait très bien où il se situe. La suite, c’est donc de rester vigilant.

Avez-vous reconnu la région de votre enfance ?

En enregistra­nt au coeur des montagnes les chansons de mon précédent album, j’évoquais ces paysages immuables, bien plus solides que l’être humain et finalement tellement inspirants pour ma musique, à l’époque. Que l’intensité de cette catastroph­e ait pu à ce point les transforme­r, c’est inimaginab­le. Il devait être impossible, quand on était sur place, d’avoir la moindre idée de ce qu’il allait se passer dans les prochaines heures. Que les murs d’une maison qui est là depuis toujours puissent être emportés par les eaux, personne ne pouvait s’y attendre. J’ai un attachemen­t de coeur, forcément, à ces vallées, à ces montagnes, à ces villages. Mais c’est le gars que je suis qui a été porté par la nécessité de faire quelque chose. L’individu. Pas le chanteur. Pour moi, qui suis assez réservé, même timide, quand j’entendais à une fenêtre « bravo », ou « merci », j’avais juste envie de répondre : ben non, je suis juste venu vous voir parce que c’est normal.

Cela ne rend-il pas le rapport aux autres - et à soi - un peu vertigineu­x ?

Pour soi, c’est bien peu de chose. Oui, tu peux aider des gens, des enfants, parfois, avec la musique. Mais là, c’est différent. Tu te dis juste que tu fais ce que tu as à faire, en tant que personne. À

Votre obsession, c’est le temps long. Peur que la solidarité ne se tarisse ?

Non. La solidarité, je l’ai vue dans les hangars pleins de vivre, de vêtements et de jouets. J’ai même croisé des gens qui arrivaient de chez moi, c’est-à-dire du Gard, pour aider, pour faire la cuisine, par exemple. Cette solidarité-là ne s’épuise pas. Ce que je crains de voir s’éteindre, ce sont les actions qui ont été promises à un très haut niveau du gouverneme­nt.

Pourquoi avoir choisi le Secours populaire ?

C’était une volonté de ma part. Sur les réseaux sociaux, j’ai vu qu’ils étaient présents tout de suite l’époque où j’allais faire du ski làhaut, je devais avoir treize, quatorze ans, c’était le même coeur. Et le même cerveau. Dans le même corps. Ce qui s’exprime aujourd’hui, c’est ma sensibilit­é, ma façon d’être. Je ne suis pas là pour parler de ma musique d’aujourd’hui ni de celle que je ferai demain. Mais pour attirer l’attention sur ce qui doit être fait dans les vallées et que vous allez peut-être suivre au fil des mois, parce qu’il faut s’assurer, étape par étape, que les choses avancent.

Vos amis se sont montrés très généreux…

Je pense aussi que la façon dont je leur ai écrit, je te jure… Quelques jours après la tempête, j’ai commencé à leur envoyer des et j’ai assez vite compris, grâce à des amis là-haut, qu’ils s’installaie­nt dans la durée. M’associer à eux, c’était une évidence. Pour leur transmettr­e les fonds que j’allais pouvoir récolter, d’ici au  décembre. Tout ce que Jean Stellitano (secrétaire général , N.D.L.R.) m’a expliqué sur le travail des bénévoles au quotidien n’a fait qu’augmenter ma confiance et mon enthousias­me. Le Secours populaire, ce n’est pas seulement une aide d’urgence. Sur place, nous avons eu des discussion­s avec les artisans, les commerçant­s, les entreprise­s. C’est moins connu, mais cette associatio­n oeuvre aussi pour relancer l’économie de chacun de ces villages. messages sans même savoir si j’allais pouvoir monter l’opération. C’est la première fois de toute ma vie que je fais ça, moi ! J’ai juste témoigné du fait que je sois attaché à ces vallées, en expliquant que, si j’osais écrire ce mot, c’est vraiment que l’on pouvait me faire confiance sur la destinatio­n de ce qu’on allait me confier. Que ce soit pour Catherine Deneuve, Isabelle Adjani ou Francis Cabrel, c’est pareil, je pense que personne ne pouvait douter une seule seconde. Je crois que tous ont bien compris que j’avais envie de lots qui comptent. De belles choses, qui soient importante­s à leurs yeux.

On dit que la nature rend humble. Mais l’ego, c’est important pour un artiste. Cette visite vous fait voir la vie autrement ?

J’ai toujours été en marge. Je ne me sens pas des masses inclus dans cette définition de l’artiste. Je n’ai jamais fonctionné comme ça. Très peu de moments ont été bouleversé­s par mon ego déçu, franchemen­t je m’en fous. On parle de musique, là ; je fais ce que j’aime, ma vie a changé du jour au lendemain, je bossais sur des chantiers à Nîmes et je fais la Nouvelle Star. Voilà dix ans que je vis cela et ce n’est que du bonus. Dans ce bonus-là, je me dois juste de ne pas m’endormir. Je me dois juste de faire attention à ne pas trahir la chance que les gens m’ont donnée. Donc, à chaque album, je me remets en question. Et cette remise en question permanente fait que je ne me sens pas du tout dans ce truc égotique. Même si tu as raison parce qu’à l’instant où tu es sous les projecteur­s, eh bien, il faut y aller, quoi… Même moi, je suis surpris d’être capable de monter sur scène. Ce n’est pas le gars que je suis ! Simplement, quelque chose se produit qui fait que j’y arrive. Mais ce n’est pas ça qui compte. Ce qui compte, c’est d’essayer d’être tout le temps à  % dans la chance de faire ce que j’aime et de ne pas décevoir ceux qui m’aiment bien et qui me suivent. Maintenant, cela fait cinq albums et aujourd’hui, à bientôt trente-neuf ans, ce n’est pas juste de faire des chansons, qui m’anime. J’ai besoin d’aider encore et je suis sûr de pouvoir faire mieux. Voilà.

Tombola sur www.karmadon.org : à partir de 5€ les 5 tickets. Jusqu’au 16 décembre.

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(Photo E. Ottino) « Je ne pouvais pas me contenter de lancer cette idée de tombola sans venir sur place. »

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