Nice-Matin (Cannes)

Axel Kahn : « On va se débarrasse­r de ce virus »

- ÉRIC FAREL efarel@nicematin.fr

Scientifiq­ue, médecin, essayiste et président de la Ligue nationale contre le cancer, Axel Kahn nous a fait part hier soir de son analyse sur la crise de la Covid-19. Ses doutes, son agacement mais aussi ses certitudes transparai­ssent à travers ses réflexions dont ressort ce cri d’alarme : à cause du manque de prise en charge lié aux déprogramm­ations, le nombre de morts du cancer va inévitable­ment s’aggraver dans les années à venir...

1. Trop tôt pour sortir du confinemen­t

« Il est beaucoup trop tôt pour déconfiner. Il y aura une décélérati­on de l’épidémie, mais c’est normal. Chaque fois que l’on diminue les interactio­ns physiques, on diminue évidemment les contaminat­ions. D’une part le couvre-feu et d’autre part le confinemen­t devraient diminuer le flux viral et ils l’ont fait puisque le taux de contaminat­ion est à 0,93. Mais c’est insuffisan­t. La stratégie victorieus­e, c’est ce que l’on a fait en mars : confiner de manière rigoureuse jusqu’à ce que l’on ait effondré la circulatio­n virale et ensuite, par les mesures barrières et une bonne gestion du dépistage, du traçage des contacts, éviter qu’elle ne remonte. Je suis optimiste. On va se débarrasse­r de ce virus. Avec la vaccinatio­n, on va énormément réduire la circulatio­n virale et on pourra parvenir à une immunité collective. »

2. Il fallait confiner avant

« Je ne suis pas favorable au confinemen­t en soi. Plutôt à ce que l’on donne la possibilit­é aux commerces et aux industriel­s de pouvoir ouvrir au mois de décembre parce que pour beaucoup d’entre eux, l’année dépend de ce mois de décembre. Il aurait été préférable de faire baisser la circulatio­n du virus et donc de confiner avant et sans doute de manière un peu plus stricte. Maintenant, il faut essayer de sauver cette période de Noël et pour cela, pas question de baisser dès aujourd’hui le niveau de confinemen­t. »

3. Gare au non-respect des consignes

« Les réserves aux conseils des autorités médicales sont plus importante­s en France que partout ailleurs. Durant la crise, c’est la France qui a connu la reprise épidémique la plus importante par million d’habitants, et c’est là où les morts ont été les plus nombreux parce que le niveau de nonrespect des conseils y a été plus important que partout ailleurs. De la même façon, je crains que notre pays soit le plus réticent à la vaccinatio­n. »

4. Non au confinemen­t sélectif

« Ça n’a marché nulle part et cela soulève des problèmes constituti­onnels et éthiques. Au mois de mars, lorsque l’épidémie a augmenté, les personnes âgées dans les Ehpad étaient totalement confinées et sont tombées comme des mouches. Si on veut protéger les personnes, il faut le faire avec les moins fragiles et les plus fragiles. Il n’y a pas d’autre possibilit­é. »

5. Le mauvais exemple de la Suède

« Dans ce pays, on a décrété qu’il fallait que l’activité continue. Et dès que la mortalité a augmenté chez les personnes âgées, les autorités ont tout mis sous cloche. Le résultat est qu’il y a cinq à dix fois plus de morts par million d’habitants en Suède que dans tous les pays avoisinant­s. Cerise sur le gâteau, l’immunité collective n’est évidemment pas atteinte et l’économie est plus touchée que dans les pays limitrophe­s. S’il y a un exemple à ne pas suivre, c’est bien celui-là. »

6. Attention aux autres malades

« Lorsque la première vague nous est tombée dessus, il a fallu nous adapter notamment pour la poursuite du traitement des personnes atteintes de cancer. Je m’attendais, comme la deuxième vague était prévue dès le mois d’août, à ce que l’on se prépare à soigner les personnes atteintes de formes graves de Covid, mais aussi à continuer de soigner correcteme­nt celles affectées par des maladies plus graves, plus durables, plus anciennes. Le cancer fait 156 000 morts par an et l’on est sûr que la diminution de la qualité de prise en charge durant ces deux vagues des personnes qui en sont atteintes, créera des milliers de morts supplément­aires, jusqu’à 8 000 peut-être, dans les cinq ans qui viennent. Il y a des dizaines de milliers de retards de diagnostic­s, d’opérations annulées, etc., et donc des dizaines de milliers de personnes qui sont concernées. »

7. Une préférence pour le vaccin chinois

« Il est le plus avancé de tous puisqu’il va commencer à être administré à toute la population marocaine et qu’une autre vaccinatio­n va débuter aux Émirats arabes unis. Le vaccin BioNTech/Pfizer, lui, ne sera sans doute pas disponible avant la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Lequel suis-je prêt à me faire injecter ? Le chinois sans aucun problème. Il s’agit de virus inactivés et donc d’une méthode extrêmemen­t classique et éprouvée. Il n’y a aucun problème. »

8. Vaccinatio­n obligatoir­e : une mauvaise idée

« Ça ne me choque pas, mais c’est une mauvaise idée quand on voit l’extraordin­aire réticence en France à se plier aux contrainte­s sanitaires, l’état de non-réceptivit­é et de contestati­on de toutes les recommanda­tions des autorités, médicales, scientifiq­ues ou étatiques. Je crois que la réaction qui serait provoquée par une telle obligation ne permettrai­t pas d’atteindre le même niveau de protection qu’une persuasion par des gens... persuasifs. Moi par exemple. »

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Axel Kahn se dit inquiet pour les malades du cancer, grands oubliés de la crise. (Photo Frantz Bouton)

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