Les tours d’arrosage
Retrouvez, chaque mois, la chronique du Comité national des traditions monégasques
En ce mois de juin aurait dû avoir lieu dans la cour de la mairie de Monaco la remise des prix du « Concours de langue et de traditions monégasques », annulée pour cause de pandémie. En remplacement, avec cette petite histoire qui traduit si bien l’esprit et l’humour de notre langue, nous souhaitons rendre un hommage au chanoine Georges Franzi. C’est lui, en effet, qui, selon la volonté du prince Rainier III, organisa en 1976 l’enseignement de la langue monégasque dans les écoles et, en 1981, avec le précieux soutien de la mairie, de l’Éducation nationale et du Comité national des traditions monégasques, a collaboré à la création du « Concours de langue et de traditions monégasques ». Ce n’est pas pour débiter des rengaines sur les temps passés, mais, qu’est-ce que vous voulez, lorsqu’on raconte une vieille histoire du pays, il est difficile de ne pas parler des campagnes qui couvraient presque toute la Principauté en dehors du Rocher.
Bataille d’eau
Monaco, c’est vrai, est un pays béni de Dieu, sous un ciel serein mais, en contrepartie, l’eau, aussi don béni de Dieu, était rare et pour arroser les cultures nos aïeux avaient fait des miracles.
Peu étaient les habitants des campagnes qui avaient une source fraîche dans leur propriété. Mais heureusement pour eux, s’il n’y a pas de torrent, il y a beaucoup de petits vallons : l’Arma à Saint-Roman et au Tenao, la Rousse pour le Larvotto, les Gaumates pour la Condamine, la Rayana aux Révoires et les Pissarelles aux Salines.
De ces vallons partaient des canaux d’irrigation à ciel ouvert qui distribuaient l’eau dans toutes les campagnes, grandes et petites. Pour économiser cette eau précieuse, chacun avait un bassin pour recueillir les eaux de ruissellement lorsqu’il pleuvait. Alors, pour que tout se passe bien, il y avait des tours pour l’arrosage. Honoré, car c’était son tour, s’en va au crépuscule avec la sape sur l’épaule tourner l’eau dans sa propriété du Col. Puis content, calculant que vers minuit son bassin serait presque plein jusqu’au bord, il se rend sous la tonnelle de Fanciuli en rêvant de courgettes trompettes, de haricots remplis de graines, de roquette savoureuse, pendant qu’il sirotait quelques verres de rosé que l’aubergiste gardait en réserve pour les bons clients. À l’heure juste, il s’approche de ses planches mais qu’estce qu’il y a ? Dans le canal, il n’y a plus qu’un filet d’eau, le bassin n’est plein qu’à moitié et un peu plus loin, l’ami, si on peut dire, Eugène sommeillait ou faisait semblant. Honoré a compris tout de suite et, avec une grosse colère, saute sur Eugène qui faisait la Sainte-Nitouche. Une parole en entraînant une autre, les injures volent et bien vite les mains. Honoré qui ne peut se contenir devant tant d’hypocrisie, lui envoie une belle taloche, une grosse gifle. Il n’y avait pas de témoin mais cela a fait sur le Rocher toute une histoire, si bien qu’un jour, ils se sont retrouvés devant le maire.
Vous pouvez imaginer quel spectacle offraient les deux compagnons avec derrière, leurs deux familles respectives ! Mais le maire, faisant office de juge, après réflexion, a condamné Honoré à une amende d’un écu. Voilà c’est fini ! N’en croyez rien ! Honoré s’approche du maire et met sur la table deux beaux brillants écus. Puis il se retourne vers Eugène et lui envoie une de ces torgnoles qu’il s’en souvient peut-être encore aujourd’hui.