Nice-Matin (Cannes)

QUELS POINTS DE CHUTE POUR LES «GILETS JAUNES» ?

Expulsés, hier, de trois de leurs ronds-points dans les Alpes-Maritimes, les plus déterminés doivent s’implanter ailleurs, sous peine de disparaîtr­e du paysage. Oui, mais où?

- STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

C’était prévu à Cagnes-sur-Mer et à Cantaron. Une surprise – mauvaise – pour Saint-Isidore à Nice qui, certes, s’y attendait… mais plus tard dans la semaine.

Hier matin, dès potronmine­t, policiers et gendarmes ont procédé simultaném­ent, sur ordre du préfet des Alpes-Maritimes, à l’évacuation des trois ronds-points. Dans le calme à Cagnes et à Nice. Mouvementé au giratoire de la vallée du Paillon. Quelques heures après l’interventi­on des forces de l’ordre, il ne restait plus rien sur les trois campements. À l’exception de quelques « gilets jaunes» groggy de voir à terre ce qu’ils avaient mis des semaines à bâtir. «Cela était nécessaire», a fait valoir le directeur de cabinet du préfet, Georges-François Leclerc. À Antibes-Juan-les-Pins, c’était la journée de toutes les négociatio­ns, toutes les mises au point, hier. Partir d’eux-mêmes et accepter la solution de repli « ponctuelle » promise par Leonetti? Ou affronter la police… Concorde difficile.

Les QG détruits, et après ? Les « gilets jaunes » jurent être « encore plus motivés » pour continuer leurs actions. Certains cherchent même des terrains pour les accueillir. Dans les tuyaux, aussi, la possibilit­é d’une union départemen­tale… « On fait quoi maintenant ? », lance, une «gilet jaune», yeux rouges, coeur gros. «Tu peux dire à la presse, aux flics, au gouverneme­nt que pour un rond-point détruit, on en reconstrui­ra quinze», répond, survolté, un jeune, bonnet enfoncé sur le crâne. Hier, matin, la trentaine de « gilets jaunes » qui tentaient de se réchauffer, un café à la main dans le fast-food voisin du rond-point de Saint-Isidore, avait une sacrée gueule de bois. Et ce n’est pas de la faute de l’alcool… Il est 9 heures et des brouettes, la pelleteuse vient de terminer son travail. Il ne reste rien du camp installé dès le premier week-end de la contestati­on et qui s’était bien agrandi depuis. Rien, plus rien ! La cuisine, le coin salon, la « chambre », l’atelier bricolage ou encore le garde-manger : tout a été mis à terre et évacué par des camions bennes. Dans le calme et sans violence. Mais dans les pleurs et le désespoir.

« On est plus déterminés que jamais. C’est un mal pour un bien. Ça nous donne un bon coup de pied dans les fesses. En fait, ils nous ont réveillés en quelque sorte », assure Haïk, l’une des voix de Saint-Isidore. « Ils ont tout cassé, mais ils n’auront pas notre volonté », renchérit Isa, «gilet jaune» depuis le début du mouvement. « On sera solidaires autrement. Le lien qui s’est installé est trop fort aujourd’hui entre nous pour être brisé. Le rond-point, c’était avant tout une famille », souffle, de son côté, Karine, encore sous le choc, mais lucide et coriace. De l’autre côté du fast-food, sur le rond-point désormais nu, certains « gilets jaunes » ont déployé une banderole, alors que les forces de l’ordre commencent à rétablir la circulatio­n et à quitter les lieux.

« Ils essayaient de nous compter »

Lili regardait le live sur Facebook de l’évacuation du rond-point de Cantaron, lorsqu’elle a vu passer «les bleus ». Passer et repasser. Il était un peu plus de 5 heures. « Deux véhicules de gendarmes, deux autres de la police nationale. Et la police municipale aussi. Ils ont fait quatre ou cinq tours du rond-point. On a trouvé cela bizarre. Je pense qu’ils essayaient de nous compter», dit-elle. Quatre « gilets jaunes » dormaient à poings fermés. Quatre autres veillaient… Il y avait Didier, Luciano, le « père Noël », ou encore Albert. Des piliers du baraquemen­t de fortune installé près de l’Allianz Riviera.

« À Saint-Isidore, ils nous ont eus par surprise »

« On est tombés dans une sorte d’embuscade. On savait pour Cantaron et pour Cagnes, on est même allés les aider à se préparer. Et nous, ils nous ont eu par surprise », lâche Karine. « Ici, à Saint-I’, ça s’est passé dans le calme, il n’y a pas eu de violence, ni de notre part, ni de la part de la police », ajoute Éric qui pense déjà à l’après « démantèlem­ent du QG ».

« Après leur tour de reconnaiss­ance, ils sont arrivés très doucement sur le rond-point, ils n’ont pas crié police. Ils avaient bloqué les accès pour pas qu’on ait du renfort. Ils nous ont laissés le temps d’emballer nos affaires. Ils étaient une bonne douzaine », raconte Lily, tête enfoncée dans une grosse doudoune, retournée par la nuit qu’elle vient de passer.

« On a redonné goût à la vie à certains »

« Toute l’énergie qu’on dépensait à gérer le QG, on la dépensera maintenant pour se structurer, évaluer notre force de frappe, et mener nos actions. Et on sera davantage visibles, promet Haïk. On a réussi à mettre en place un noyau dur qui nous permet maintenant d’avancer. Et on va avancer plus loin ». «Vous savez tout ce qu’on a fait jusqu’à présent, c’était pour l’humain avant tout, confie Karine des regrets dans la voix. On ne pourra plus, pour le moment, faire les maraudes du jeudi soir. On donnait à manger aux gens dans la rue. C’est dommage. C’était ça aussi le rond-point de SaintIsido­re. » « On pense aussi à ceux qui étaient seuls et qui ont été sauvés par les ronds-points, car ils ont trouvé de la chaleur humaine», la coupe Isa. Karine se crispe un peu : « L’air de rien, on a fait avancer pas mal de choses avec notre mouvement. On a redonné goût à la vie à certaines personnes. » Et Isa d’ajouter : « Tous ceux qui souhaitent un autre monde doivent nous rejoindre. Plus que jamais. »

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(Photo Éric Ottino) D’autres « gilets jaunes » ont investi le rond-point de Saint-Isidore, hier matin… Ceux chargés d’évacuer les gravats après le démantèlem­ent opéré par les forces de l’ordre.

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