/ Rencontre
La vie de Serge Nuques est un éternel éclat de rire à l’accent basque. Rencontre avec le chantre du Groland qui, sous ses airs de dilettante, est un sacré talent.
Serge Nuques, ex-enduriste fait Chevalier (de Groland) aux multiples talents
Comme tout le monde, vous dites « allô ? » lorsque vous décrochez votre téléphone. Lui dit « banzaï ! », en référence à sa qualité officielle de Chevallier de Groland. Ce costume de motard déjanté a été taillé sur-mesure pour Serge Nuques, qui aura cinquante ans en janvier prochain. Mais avant de devenir ce motard de tous les coups pendables – et vous allez voir qu’il n’en manque pas –, «Sergueï» a effectué une vraie carrière de pilote, non seulement éclectique, mais aussi brillante. Né le 10 janvier 1971 au coeur du
Pays basque, il est le troisième et dernier de la fratrie. De sa naissance, il ne se souvient que d’une chose : « C’est que ça va bientôt faire un demi-siècle. » Le souvenir de sa première moto est beaucoup plus net : « C’était une Yamaha 125 YZ de 1991. » Soit peu ou prou au moment de souffler sa vingtième bougie.
Une acquisition extrêmement tardive à une époque où déjà, la précocité était de mise en matière de début de carrière. « Tout simplement, mes parents n’avaient pas les moyens de m’acheter une moto. Alors, j’ai tout appris avec une mobylette en allant sur les circuits de cross. » Et comme le gamin n’est pas seulement sympathique mais également loin d’être un manchot au guidon, ses camarades lui prêtent leurs motos, et notamment un certain David Castera, le fils du concessionnaire local, l’actuel patron du Dakar. « Je faisais des courses avec eux, et j’ai été champion d’Aquitaine d’endurance, sans jamais avoir eu une moto à moi. » C’est seulement lorsqu’il débute dans la vie active – après des études de mécanique moto, il se retrouve à l’entretien des espaces verts à Osserain, sa ville natale – qu’il participe à ses premières courses en solo. Il commence par deux saisons de cross en Ligue. Et en 1993, il attaque le championnat de France d’enduro. Avec un coup de pouce de Yamaha (il y a la concession des Castera dans la boucle), il termine vice-champion en National. Le champion n’est autre qu’Éric Bernard, l’ex-crossman, qui démarre sa reconversion qui le conduira vers les plus hautes sphères de l’enduro mondial. En 1994, Sergueï intègre le team Ipone, pour faire le championnat de France, mais aussi le Mondial. « Avec Dominique Costes et David Castera, nous avions monté le team Djobi Djoba. Tout se faisait à l’arrache. C’était notre mode de fonctionnement, d’autant que nous avions eu les subventions du Fonds Tabac qui finançait la saison, mais sur le mode du remboursement des sommes engagées. On chargeait tout dans un fourgon, qui souvent nous servait d’hôtel. » En 1994, il décroche un titre de champion de France. Puis son palmarès se fige jusqu’à son podium à la Gilles Lalay Classic (l’enduro le plus dur au monde) de 1998.
« Je fais du championnat de France d’enduro, avec des résultats entre 5 et 10. Ce qui ne suffit pas pour faire parler de soi... » Il donne donc la priorité à la GLC : « Je fais ma première en 1995, et en 1998, je termine sur le podium. » Avec David Castera, ils s’entraînent à fond :
« Des jours et des nuits. Pour que le jour de la course, on ne se mette pas dans le rouge.
Ce qui était malgré tout impossible. Même Cyril Esquirol, le quintuple vainqueur, s’y collait. »
La moto d’entraînement était complètement ruinée à chaque sortie. « Et l’on ajoutait des trucs totalement décalés, comme d’emmener une 600 Ténéré, tous pleins faits, récupérée à la casse et avec laquelle on multipliait les plantages et les déplantages. Un peu comme des intervalles trainings mais avec une moto très lourde. Ça payait : ensuite, lorsque tu reprenais ta 250, tu avais l’impression de manier un vélo. »
«Avec sa grosse moto, il n’arrivait pas à me suivre»
Et finalement, c’est David qui remporte l’ultime édition en 2001 : « J’étais son suiveur. À l’époque, je travaillais pour le fabricant de lunettes Arnette, et ils m’avaient demandé de mettre un terme à ma carrière de pilote pour m’occuper de Fred Bolley sur les Grands Prix de motocross. On avait pour projet d’inverser les rôles pour l’année suivante mais ça n’a pas été possible puisqu’au soir de la victoire de David, les organisateurs ont annoncé qu’il n’y aurait pas d’autre édition de la Gilles Lalay Classic. » Ensuite, Sergueï participe à quelques courses extrêmes organisées par Eurosport à travers l’Europe avant de se laisser absorber par son job, qui l’amène même un temps sur le MotoGP, où Valentino Rossi porte la marque de lunettes pour laquelle il bosse. Deux ou trois années se passent sans courses : « Et un jour, dans Moto Revue/Journal, je lis un papier sur une course qui va se dérouler sur le format d’un enduro, avec des liaisons et des spéciales, mais sur le goudron. Je me dis, pourquoi pas... » Il se monte une moto d’enduro avec des roues de supermotard et part avec son beau-père, Jean Castera, le père de David, pour une séance d’apprentissage de la conduite sur route. « Et là, je l’attends à tous les carrefours. Avec sa grosse moto de route, il n’arrivait pas à me suivre. » Jean lui dit qu’il roule vite. « À ce moment-là, je pensais que c’était surtout lui qui roulait doucement... »
Dès la première spéciale qu’il dispute sur le Tour de France – puisque c’est de cette épreuve dont il s’agit –, il fait le scratch... et comprend que son beau-père avait raison ! L’une des premières spéciales qu’il dispute se déroule sous la pluie : « Je faisais frotter les repose-pieds dans tous les virages. Aujourd’hui, j’en serais bien incapable. Il y avait
un peu d’inconscience. Je découvrais tout. Par exemple, je ne savais pas que des pneus se faisaient monter en température. C’était bien ! » Il ne remporte pas son premier Tour de France, la faute à une 450 à l’aise sur le sinueux mais beaucoup trop pénalisée lors des spéciales sur circuit. « Sur le Bugatti, j’avais pris 1’30 par Dominique Sarron. Impossible à rattraper sur la route. Ce n’était pas équitable. C’est pourquoi j’ai utilisé ensuite une R1, qui permettait de gagner du temps sur circuit et d’assurer sur la route. » Serge empile les victoires en championnat de France des rallyes et au Tour de France en 2004 et 2005, sans jamais tomber, ni se sortir en spéciale. Fait Chevallier du Groland en 2003, il reprend un peu de visibilité et de cote auprès des sponsors. « Sans que ce soit mirobolant. »
Le « mariage » avec la République de Groland se fait par l’entremise de Marc Fontan. L’ancien pilote, puis éleveur de champions – on lui doit Régis Laconi et Olivier Jacque – est devenu l’organisateur du Moto Tour : « J’étais au World Superbike à Magny-Cours. Marc m’appelle et me dit de le rejoindre dans un box. J’arrive avec une cagoule sur la tête. Il me présente à Michael Kael en lui disant que s’ils cherchaient un mec débile pour le Groland, il y en avait là un bon. » Benoît Delépine, qui est fan absolu de moto, lui dit que la Présipauté pourrait s’offrir un chevalier qui irait parcourir les routes de France. Quelques mois plus tard, il est dans leur bureau avec une tenue de chevalier concoctée par Furygan. « Ils m’ont ajouté un plumeau sur le casque, et le président a baptisé ma moto. Ça roule comme ça. Et je gagne, ce à quoi ils ne s’attendaient pas. » Pendant un an, il est dans le générique de l’émission qui, à l’époque, cartonne sur une chaîne qui ne se prive pas de déconnes.
« Lui savait. Moi pas... »
Il y gagne un statut qui perdure : « Comme le président, l’acteur Christophe – dit Léon – Salengro, qui est mort aujourd’hui, mais qui reste l’indéboulonnable président du Groland. » À ce moment-là, avec ses victoires en championnat de France des Rallyes et au Moto Tour, il peut se targuer d’être le plus rapide des pilotes français sur la route. « J’ai eu envie d’aller voir ailleurs : je me suis dit que le pilote le plus rapide du monde sur une route était forcément le vainqueur du Tourist Trophy. J’ai donc décidé d’aller voir. » Sergueï a bien compris qu’il s’agit d’une course où l’expérience est primordiale. « Je suis donc parti avec une R6 et une R1, pour multiplier les occasions de rouler. Jean-Claude Olivier me suivait, même s’il était réticent et n’avait pas envie que j’aille me tuer là-bas. Lui savait. Moi pas. » Dès le premier jour, il prend la mesure de la course : « D’entrée, un pilote s’est “nettoyé” devant moi. Je savais qu’il fallait m’attendre à voir du sang. C’est arrivé très vite. » À la fin de la séance, il fonce voir la direction de course pour demander des nouvelles du concurrent. « Direct, ils m’ont répondu de retourner dans le paddock, que ce n’était pas mes affaires. » Bruno Bonhuil, habitué de l’épreuve, le prend sous son aile et le raisonne : « Tu as gagné le Tour de France mais ici, ça va plus vite, c’est plus trash...
Il faut t’attendre à voir des trucs plus durs. Tu viens de les voir. Ça fait partie de la vie d’un pilote. » Sauf que deux jours après, c’est Bruno qui passe dans les débris d’un accident provoquant le décès d’un pilote et d’une commissaire : « Après la course, je le trouve assis en larmes derrière une cabine de chiottes. Quinze ans après, j’en ai encore
la chair de poule. » Et il n’y retournera jamais : « Quelques mois plus tard, je guide des VIP sur le Shark X-Trem. Le soleil se lève sur les montagnes du Pays basque et je reçois un coup de fil de Turco (Michel, le nôtre, ndlr) qui me dit que Bruno vient de se tuer à
Macau. C’était ma référence. Il s’est fait avoir là-bas. Je me suis dit que j’allais y rester si je continuais dans cette voie. » Fermez le banc. En 2006, Sergueï se lance dans l’endurance, un peu par opportunité, un peu poussé par Yamaha, Assurance Moto Verte et le team Décibels 33 qui cherchait un pilote. « Ça ne m’a pas plu, parce que c’est monotone. On te demande de faire tout le temps la même chose, de freiner au même endroit, de prendre la même trajectoire... J’avais juste noté la différence entre doubler un concurrent ou se faire doubler. Mais au final, même ça, c’est la même chose » Il y a juste un truc qui le fait encore rire aujourd’hui :
« Le mec qui roule à peu près comme toi est toujours celui qui a le plus de mal à dépasser. J’étais allé demander conseil à Matthieu Lagrive. Et il m’avait dit que pour ne pas avoir de problème, il fallait les attaquer dans les passages les plus chauds, comme dans la Dunlop au Mans, comme ça les mecs hésitent et toi, tu passes ! En fait, le gars a un peu peur, toi aussi t’as un peu peur. Au final, tout le monde a peur, mais toi, t’es passé ! » Et pour finir avec la monotonie que l’endurance lui inspire, Sergueï renchérit : « Lorsque tu doubles un gars dans un relais, normalement, tu retrouves le même gars dans ton relais suivant, tu sais à quel endroit tu l’as doublé, donc tu vas recommencer. Je te dis que c’est monotone. » Même s’il garde un bon souvenir de son podium en Stocksport au Bol d’Or 2006. Il bascule alors vers la quarantaine, dispute quelques courses exotiques, comme le rallye routier de Tunisie ou le Scorpion Masters et se consacre de plus en plus à ses stages de pilotage. Le Scorpion Masters, une épreuve née dans l’imagination du journaliste – reconverti à l’époque en patron du circuit d’Alès –
Laurent Corric. Une épreuve où les concurrents s’affrontent en trial, enduro, supermotard et vitesse. Un quadriathlon qui convient bien à notre touche-à-tout : « À la première édition, je termine quatrième. J’avais trop fait le con pour viser la victoire ! » C’est le moins que l’on puisse dire : pour arriver sur la grille de départ du supermotard, Sergueï débarque à califourchon sur un canasson avec une princesse en amazone ! « J’ai dépensé trop d’énergie dans des mises en scène pour faire
rire les spectateurs ou aller donner à bouffer au cheval plutôt que de me concentrer sur la course et changer mon pneu arrière pour la course ! » Donc, l’année suivante, malgré l’épreuve de trial à laquelle il se présente déguisé en petit rat de l’opéra avec un magnifique tutu rose, Serge l’emporte. C’est sa dernière victoire. « Sans regrets. Tout le côté pression, notamment dans la préparation, n’est pas forcément agréable à vivre. » Et surtout, le Grolandais a d’autres envies : « Quelques années plus tôt, je m’étais mis en tête de traverser le lac d’Hossegor au guidon de ma moto. J’avais bricolé des skis à mettre à l’avant de la machine et ça marchait plutôt bien. Ça avait bien fait rigoler la clique de Groland. » Lors du tournage du film Mammuth, on lui explique que dans une scène, il doit dépasser un motard qui roule sur une route alors que lui est sur le lac avec sa moto. Le motard en question n’est autre que Gérard Depardieu. « En fait, notre rencontre aurait pu être plus ancienne. Il est lié à l’équipe du magasin parisien Les Deux Roues, pour lequel j’ai roulé. » Bref, le courant passe bien entre les deux. Depardieu lui lâche : « J’ai vu des mecs faire de la moto, je sais ce que c’est d’en faire, j’ai vu Rossi rouler, mais c’est la première fois que je vois un mec en faire sur l’eau ! » « Il m’a presque pris pour Jésus », en rigole encore Serge. Le tournage est un magnifique boxon, à l’image des émissions de l’équipe infernale. Depardieu, acteur hollywoodien s’il en est, hallucine. La Münch Mammuth, l’autre héroïne du film Mammuth de Benoît Delépine et Gustave Kerven, a l’embrayage grillé dès le deuxième jour parce qu’ils ont envoyé Depardieu dans un cul-de-sac qu’ils n’avaient pas repéré : « Il a mis trois coups de cirette et il l’a fondu. Ça a gueulé. J’ai fait le lien entre la mécanique et les hommes. On a collé des bouts de liège et ça a tenu jusqu’à la fin du tournage. » Une ambiance d’improvisation qui, au final, ne déplaît pas à la star française, qui finit par concéder que ce boxon lui rappelle l’ambiance qui régnait sur les plateaux des Valseuses. Depuis, à chaque tournage de la clique, Sergueï vient faire un tour, pour une doublure, charger un cadreur ou tout simplement apporter sa bonne humeur.
Depardieu et Mahias
En attendant, « le gros Gégé », comme l’appelle affectueusement notre homme, veut absolument l’aider dans sa carrière. « Je lui explique que tout ça est derrière moi... et qu’en revanche, il y a un petit jeune que j’aide, qui est hyper doué et qui, lui, aurait bien besoin d’un coup de main. »
Et c’est comme ça qu’en 2009, Depardieu achète la première moto de Lucas Mahias. Une R6 flambant neuve. La rencontre entre Nuques et Mahias remonte à quelques années. Lucas est présent sur le circuit de Nogaro, en marge d’un stage de pilotage organisé par Nuques. Il est stupéfait de voir ce garçon, au guidon d’une improbable Kawasaki 500 ex-moto-école, empiler les tours en soudant comme un cochon. Il le prend sous son aile : « Parce que je vois qu’il y a un vrai potentiel. Non seulement il est engagé dans son pilotage, mais le moindre conseil est instantanément appliqué. » Serge a le souvenir encore vivace d’une sortie en enduro où l’on avait prêté une HVA à son protégé qui, bien sûr, découvrait le tout-terrain : « Il prenait tous les pièges. Jusqu’à se taper une souche juste devant moi et rattraper la moto alors qu’elle est en butée de direction, toute proche de le catapulter. Là, je me suis dit que c’était vraiment un chat. » Ce qui se confirme lors de roulage sur circuit. « Je me suis dit qu’il pouvait vraiment être champion du monde. Et lorsque nous étions au Qatar, le jour de son titre, j’ai revu cette image qui datait de presque 10 ans. » S’ils se voient moins, l’estime entre les deux hommes est toujours intacte. « Lucas a toujours son caractère de cochon, rigole Sergueï, mais il n’a pas oublié la moto offerte par Depardieu. Un jour, il est arrivé à la maison avec une 125 YZ pour mon fils Joey (prénom donné en hommage à Joey Dunlop, la légende du TT, ndlr), qui dispute des courses de sable. » Quant à Mahias, son père lui a choisi son prénom après une scène où, ça ne s’invente pas, dans le film La Chèvre, Depardieu se frappe le torse en disant : « Lucas, c’est un costaud. » « Et ils ont fini par se rencontrer sur un tournage. » Si la course est, via son fils, toujours présente dans le quotidien de Serge, une grande partie de sa vie tourne désormais autour des stages de pilotage qu’il organise depuis plus de 15 ans, sur les routes du Pays basque ou de l’Espagne toute proche – afin d’aborder toutes les facettes de la conduite, du gravillon à l’épingle à cheveu en passant par les enfilades rapides –, sur circuit, ou en tout-terrain, notamment pour répondre au retour du gros trail et à l’engouement qu’il suscite. Au passage, l’ancien enduriste de l’extrême se retrouve ambassadeur de la T 700, et des Ténéré Center, prêtant volontiers son talent pour le tournage des films promotionnels de la marque. « Dans mes stages, j’ai de tout, des jeunes et des moins jeunes, des riches et des moins riches. Mais surtout, tout le monde me remercie en partant, pour avoir pris conscience de ses limites et de sa progression. »