OBERLAND : L’EIGER EN LIGNE DE MIRE
Dominé par certains sommets légendaires de plus de 4 000 mètres, le massif de l’Oberland bernois est avant tout le plus vaste ensemble glaciaire des Alpes. Cette caractéristique lui vaut une comparaison avec les hautes vallées himalayennes.
Située entre les lacs de Thoune et de Brienz, la ville d’Interlaken possède un vaste réseau de transports en commun à travers ses trains, bus ou téléphériques. C’est le point de départ de notre raid en Oberland. Un premier train nous mène jusqu’à Grindelwald, haut lieu du tourisme de montagne suisse. Se dresse alors devant nous, la magnifique et colossale muraille de l’Eiger (3 970 m), théâtre d’une compétition acharnée pour la première réalisation de sa face nord. Actuellement, elle symbolise la grande course d’alpinisme et continue de faire rêver des générations de grimpeurs. Ayant eu la chance de la gravir l’année d’avant, je deviens un brin nostalgique. Je me remémore quelques souvenirs et moments marquants de notre ascension. Suivant l’enneigement, c’est à partir de ce point que l’on colle les peaux de phoque et que l’on débute le ski. On remonte jusqu’au Kleine Scheidegg le long des pistes entre la face nord de l’Eiger et quelques chalets d’alpages. Cette première journée de mise en jambe, offre un cadre bucolique contrastant avec les jours suivants. Si le temps ou l’enneigement vous manque, il est possible d’emprunter le premier tronçon du train à crémaillère pour rejoindre le haut des pistes. Au chaud à l’hôtel de montagne Bahnhof, nous reprenons des forces autour d’un bon repas en observant les frontales des alpinistes perdus dans la vaste face nord. À coup sûr, la verveine du soir ne doit pas avoir la même saveur.
DES PRAIRIES AUX FACES NORD
Le lendemain, départ à la première heure pour le Jungfraujoch. Nous embarquons dans le train à crémaillère le plus haut d’Europe. À travers l’Eiger et le Mönch, il offre des points de vue remarquables et nous dépose sur le glacier du Jungfrau à 3 400 mètres. Changement radical de décors. Nous passons d’un paysage enneigé sur de vertes prairies, à la haute altitude. Il ne nous faut pas longtemps pour chausser les skis. La neige de printemps ramollie par le soleil semble excellente. Nous descendons quelques centaines de
mètres le long des pistes de ski installées sur le glacier. Eh oui une station, bien que petite, existe tout là-haut. Difficile d’être seul, même au plus haut en altitude. Je n’ose pas demander le prix du forfait aux guides locaux de peur de devoir appeler les secours. L’environnement reste dangereux malgré la présence d’aménagements de sports d’hiver. Nous évoluons sur un terrain crevassé, ou le risque zéro n’existe pas. Il est très important d’être équipé de matériel de progression sur glacier, d’une pelle, d’une sonde et d’un détecteur de victimes d’avalanche. Les premières courbes face au glacier d’Aletsch ne sont que l’entrée d’une belle journée qui s’annonce. Avec environ vingt-trois kilomètres de longueur, ce glacier est le plus grand d’Europe. Nous remontons le long de séracs jusqu’au col de Louroitor à 3 600 mètres. Le versant ouest plonge alors de 2000 mètres par de raides parois jusqu’au fond de la vallée du Lauterbrunnen. Nous préférerons son côté sud, et le glacier de Kranzberg. Se dévoile alors une superbe descente de plus de 700 mètres. Nous choisissons de passer sur la rive gauche du glacier, mieux enneigée et
SE DRESSE ALORS DEVANT NOUS, LA MAGNIFIQUE ET COLOSSALE MURAILLE DE L’EIGER
bien plus agréable à skier. Quelques virages et photos « carte postale » et la descente se termine déjà… Nous nous trouverons à ce moment-là dans un magnifique amphithéâtre de sommets à plus de 3 800 mètres. Mais malgré la chaleur de ce mois d’avril, il nous faut remonter jusqu’au refuge Hollandia. Et c’est à ce moment-là que l’on se rend compte qu’une bouteille d’un litre est peu suffisante pour un raid à ski de trois jours, surtout quand elle se troue le deuxième. Heureusement les copains sont là pour partager quelques gorgées, s’arrêter pour préparer un petit thé et même manger un bout, à deux doigts de sortir la nappe et le panier. Tout au long de la montée, nous
longeons la face nord de l’Aletschhorn et ses nombreux séracs. Bien que beaux et impressionnants à regarder, nous préférons mettre de la distance et rester rive gauche du glacier d’Aletsch. Nous débattons longuement sur les alpinistes, qui à une époque, prenaient leur pied en grimpant ces murs verticaux instables. Une parlotte certaine, une petite déshydratation et un faux plat menant jusqu’au refuge auront eu raison de moi. Le Coca-Cola gentiment amené par le gardien sonne alors comme une renaissance. Sans exception, nous sommes trempés. Que ce soit par la neige fondante ou par la transpiration de l’effort, nous nous réjouissons d’étendre peaux, tee-shirts et autres chaussures de ski autour du poêle. Ce refuge du Club alpin suisse se trouve à 3 240 mètres, face aux imposantes faces nord de l’Aletschhorn et du Sattelhorn. Pour nous, l’objectif du lendemain sera le sommet du Mittaghorn à 3 892 mètres. Certains skieurs du refuge, plus aguerris et en meilleure
forme, le couplent avec le sommet de l’Abeni Flue à 3 962 mètres. En attendant, nous dégustons notre copieux et excellent repas du soir, servi par la charmante aidegardienne Heidi, et allons nous coucher sous les yeux de la lune quasi pleine.
ENCORDEMENTS
Cette fois, il fait encore nuit quand nous partons du refuge. Loin de la ville et à cette altitude, les étoiles scintillent dans un ciel pur. C’est le troisième jour et les cuisses n’hésitent pas à nous le rappeler dès les premiers pas. Skis aux pieds, nous prenons de la dénivelée lors la première moitié de la montée. Nous zigzaguons entre les crevasses pour nous frayer un chemin sur le glacier de l’Abeni Flue. La corde bien que tendue, continue à se nouer sur mes skis et mes bâtons. Mais comment a-t-elle appris à tresser un huit ? Juste avant de déboucher sur un petit plateau glaciaire, le ciel débute son embrasement. Nous profitons de ce lever de soleil exceptionnel pour faire une pause à l’abri du vent. Depuis ce matin, nous subissons les nombreuses rafales qui soufflent et jusqu’à présent nos mains sont gelées. Mais avec l’arrivée du soleil et de la chaleur, notre corps se galvanise pour la dernière montée. Nous débouchons au petit col de l’Anenjoch, au pied de l’arête sud-sud-est. Nous quittons les skis pour les mettre sur le sac, et nous chaussons nos crampons. Après une première pente de neige peu raide, nous grimpons sur une courte partie en rocher. Les crampons crissent sur le caillou déjà marqué par de nombreux passages. Certains d’entre nous n’ont pas l’habitude et sont déstabilisés par la grimpe en chaussures de ski. Nous tirons alors une courte longueur, profitant pleinement de l’arrêt du vent et emmagasinant de la vitamine D. L’arête neigeuse au-dessus de nous se raidit. Aucune trace n’est présente et, à plus de 3 800 mètres, l’effort à fournir devient plus dur. Nous nous relayons pour faciliter la progression sur la centaine de mètres nous séparant du sommet. La vue est dégagée et nous apercevons jusqu’au MontBlanc. Nous sommes un gros groupe et j’avoue que le selfie du sommet ne fut pas simple : « Allez on se serre. Jean-Michel ne t’approche pas de la corniche ! » Il est temps de redescendre. Du sommet, nous souhaitons plonger dans la face ouest du Mittaghorn pour descendre dans la vallée de Lötschental et rejoindre Faflerapl. Le départ est en neige dure et même en glace. Nous préférons tirer un rappel pour ne pas finir dans la gueule du monstre. La neige soufflée de mauvaise qualité nous pousse dans nos retranchements.
L’altitude et le lactique dans les cuisses se faisant ressentir, nous débutons tranquillement les premiers mètres de la descente. Une fois au soleil, la neige devient meilleure et nous reprenons nos habitudes de ski à la Free Ride World Tour. Certaines parties du glacier sont impressionnantes. Nous skions par endroits à une dizaine de mètres de séracs de plusieurs étages et par d’autres sur des crevasses à peine refermées. La fin de saison se fait sentir et nous nous détendons en quittant les zones glaciaires. Non sans mal et après quelques passages sur herbe, nous arrivons skis aux pieds au parking de Fafleralp. De là, un bus nous amène à Goppenstein. Ensuite, nous rejoignons en train Thoune en traversant le tunnel de Lotschberg puis par un second train Interlaken. Que ce soit dans les transports en commun où le suisse-allemand reste compliqué à comprendre, ou sur les étendues glaciaires de l’Aletsch, aucun de nous ne se sera perdu. Ce qui est déjà une belle victoire.
PRATIQUE
Raid à skis de 3 jours à travers l’Oberland avec l’ascension du sommet Mittaghorn (3 892 m). Période et saison : Printemps Secours : 112 Bibliographie/topos : Berner Oberland SkiRother Cartes : Swisstopo 1229 Grindelwald – Swisstopo 1249 Finsteraarhorn – Swisstopo 1268 Lötschental. Accès : Depuis l es Alpes françaises, accès à Interlaken par l’autoroute suisse A6 passant par Bern puis A8. Par le train depuis la France, changement à Basel ou Spiez puis train local jusqu’à Interlaken. Matériel à emmener : Matériel de progression sur glacier et de raid à skis : DVA, pelle, sonde, peaux de phoque, couteaux, baudriers, piolet, crampons, corde, casque, matériel de secours en crevasse.
Itinéraire
Jour 1 : Interlaken - Kleine Scheidegg (2 061 m) D+ 1 100 m/ 4 h / F Depuis Interlaken, se rendre à la gare, prendre un train jusqu’à Grindelwald qui vous coûtera environ 15 francs suisses. De Grindelwald, assez simple, remonter le long des pistes de ski ou des différents alpages, pour rejoindre la gare de Kleine Scheidegg où vous trouverez quelques hôtels. Panorama exceptionnel au pied de la face nord de l’Eiger. Autre solution, pour 15 francs suisses, prendre le train de Grindelwald jusqu’à Kleine Scheidegg, pour éviter la montée si le temps vous manque. Hébergement : Hotel Bahnhof, www.hotelbahnhof.com.
Jour 2 : Kleine Scheidegg (2 061 m) - Jungfraujoch (3 400 m) - Louroitor (3 670 m) - Refuge Hollandia (3 240 m). D+ 800m / D- 1 000m / 6 h / PD / S3 / E2 De Kleine Scheidegg, prendre le train à crémaillère jusqu’à Jungfraujoch qui coûte 35francs suisses. En chemin, il s’arrête à différents points de vue, notamment en pleine face nord de l’Eiger. De l’arrivée du train ; descendre en rive droite du glacier sous le Jungfrau d’environ 200 m. Par son versant nordest, remonter le glacier crevassé jusqu’au col de Louroitor à 3 670 m. Une grande descente plutôt rive gauche pour éviter les crevasses et séracs du Kranzberg vous mène au plat du glacier Grosser Aletsch. Passage court et maximal à 30° lors de cette descente. Il ne reste plus que 300 m de dénivelée positive pour atteindre le Refuge Hollandia à 3 240m. Hébergement : Refuge Hollandia SAC, www.hollandiahuette.ch.
Jour 3 : Refuge Hollandia (3 240 m) - Mittaghorn (3 892 m) - Fafleralp (1 770 m) D+ 650m / D- 2 100m / 7 h / AD / S4 / E3 Du refuge, monter à skis par la rive droite du glacier d’Abeni Flue. Rejoindre par une courte pente le col de Anenjoch (3 629m). On se trouve au pied de l’arête sud-sud-est. On remplace alors les skis par les crampons. Grimper la partie rocheuse par le fil puis par la droite. Un pas de 3a, un poil exposé. Ensuite suivre l’arête neigeuse qui devient de plus en plus large jusqu’à l’antécime puis plate et aérienne jusqu’au sommet. Pente jusqu’à 40° pouvant être en glace, attention à la corniche précédant le sommet. La descente du sommet: prendre la pente à 40-45° sur 100 m orientée ouest-sud-ouest. Celle-ci est très fréquemment en neige dure ou en glace parfois vive. Rester rive gauche puis traverser à droite sous un gros sérac. Cela donne accès à une large pente plein sud à 30-35°. Descendre en restant rive droite, puis encore à droite de la moraine. Rejoindre le vallon un peu en dessous de la langue terminale et atteindre Fafleralp par le fond de vallée. Une fois au parking de Fafleralp, attendre le bus qui vous conduira à la gare de Goppenstein. Il est possible suivant la période que le bus ne passe pas à Fafleralp, dans ce cas il faut pousser la descente de quelques minutes jusqu’à Kuhmad à 1630m. À la gare de Goppenstein, prendre un train d’environ 20francs suisses passant par le tunnel de Lotschberg pour revenir à Interlaken. Un changement sera probablement à prévoir dans la ville de Spiez.