Midi Olympique

L’ADIEU DU PUMA ÉLÉGANT

- Par Jérôme PRÉVÔT, envoyé spécial jerome.prevot@midi-olympique.fr

MARCELO BOSCH - CENTRE DES SARACENS L’ARGENTIN A TIRÉ UN TRAIT SUR SA CARRIÈRE AVEC UN DERNIER TITRE DE CHAMPION D’ANGLETERRE. RETOUR SUR LE PARCOURS D’UN JOUEUR AU PROFIL FIN ET DÉLICAT, PASSÉ PAR BIARRITZ. DANS UNE CERTAINE DISCRÉTION, IL S’EST FORGÉ UN PALMARÈS ÉTINCELANT.

Vendredi 31 mai, veille de finale du championna­t anglais, Marcelo Bosch était encore balance pour figurer sur la feuille de match. « Brad Barritt est incertain. S’il est forfait, je serai remplaçant. Sinon, je suis vingt-quatrième homme » nous avait-il prévenu, espérant encore jouer un dernier match officiel dans sa carrière. Au moment de solliciter l’interview, on imaginait les Saracens inaccessib­les, confinés dans un manoir secret de la campagne anglaise, à se taper la tête contre les murs. Idée démentie d’emblée : « OK, pas de problème pour vendredi. »

Le jour dit, le joueur appelle : « Excusez-moi, j’aurai un quart d’heure de retard. Je suis seul avec mes enfants aujourd’hui et je devais faire une course avec eux. Cela a duré plus longtemps que prévu. » Veille d’une finale, Marcelo Bosch s’occupe de sa famille, dans sa maison de banlieue. « Les mises au vert ? Non, ce n’est pas notre truc. Quand on joue à Londres, nous avons juste rendez-vous trois heures avant le match. Nous mangeons ensemble, nous faisons une petite répétition, les avants d’un côté, les trois-quarts de l’autre, puis quelques étirements. On ne part vraiment la veille que pour les déplacemen­ts lointains, Newcastle ou Exeter. » Finalement Brad Barritt a été déclaré apte et Marcelo Bosch a terminé sa carrière en position de premier réserviste à

Twickenham. Il a vécu le dernier triomphe par procuratio­n, il a même eu droit à un gros plan sur l’écran du stade. Un parcours long de treize ans, dans une certaine discrétion eu égard à son palmarès : il a vécu sur le terrain quatre finales européenne­s et trois finales anglaises, 39 sélections avec les Pumas, pour huit titres majeurs.

Nous l’avions découvert sous le maillot de Biarritz, à la fin des années 2000 : un gabarit plutôt fin, un sourire engageant et une honnêteté qui nous avait marqués. Dans le vestiaire d’Aguilera, Bosch avait reconnu qu’il avait du mal à assurer en défense, que les plaquages n’étaient pas son fort. Peu de joueurs ont cette honnêteté. « Quand je suis arrivé en France, j’étais encore un gamin. Rendez-vous compte : j’avais fait mes premiers stages avec les Pumas alors que je n’étais même pas profession­nel, j’étais encore étudiant. C’est Biarritz qui m’a fait grandir. Pour ma première saison, en 2007, j’ai quand même joué une demi-finale du Top 14, en position de demi d’ouverture. »

2015 : LES SARACENS PLUTÔT QUE LES JAGUARES

Avec le recul, on se dit qu’il avait tout pour être un « Petit prince » du Top 14. Sauf que le Biarritz dans lequel il avait débarqué était globalemen­t en déclin. Puis la poisse est venue le cueillir en beauté. « À l’été 2008, de retour en Argentine, je me fais mal à l’épaule droite. Après trois mois d’absence, je croyais être rétabli mais on m’annonce qu’il faut m’opérer à nouveau. Cinq mois de plus. Je reviens et, en novembre 2009, à Toulouse, je me blesse à un ligament croisé du

genou gauche. Ceci dit, après la Coupe du monde 2011, j’ai fait deux bonnes saisons à l’arrière ou en premier centre. Nous avons gagné le Challenge européen. Je garde un super souvenir de cette période. J’étais colocatair­e avec Manu Carizza et je pensais que je passerai le reste de ma vie en France. En 2015, mes premières vacances d‘été, je les ai passées là-bas. » Marcelo Bosch a vécu les derniers feux du BO de Kempf-MartinBlan­co, de moins en moins compétitif face à une nouvelle génération­s de présidents fortunés. Il a aussi vécu les débuts de l’Argentine dans le Four-Nations (devenu Rugby Championsh­ip), le tournoi de l’hémisphère Sud. Une source de complicati­ons et de regrets : « À partir de 2012, je ne revenais qu’en octobre en Europe. Après le Mondial 2015, il aurait fallu que je quitte les Saracens, pour jouer chez les Jaguares et rester en sélection… Dommage, je n’avais que 31 ans. Je pense que j’aurais pu continuer à apporter quelque chose, avec mon expérience. » On ressent bien la force du dilemme. Marcelo Bosch a subi douloureus­ement le changement géopolitiq­ue des Pumas. Parce qu’en mars 2013, un coup de fil avait changé sa vie.

« J’ai reçu un appel. Mark McCall et Edward Griffiths, le président délégué des Saracens, voulaient me voir personnell­ement… » Il a découvert les Sarries comme ça : « Ce n’était pas le club qu’on connaît aujourd’hui. Mais ils voulaient bien voir si j’avais faim de titres. Ensuite, on m’a expliqué que le club avait changé quand, en 2008, les Sud-Africains Brendan Venter et Edward Griffiths avaient viré vingt-cinq joueurs d’un coup en milieu de saison, en ne gardant qu’un noyau pour repartir sur une nouvelle dynamique… Dynamique toujours en cours… »

LA PÉNALITÉ DE COLOMBES

Marcelo Bosch a vite compris qu’il était vraiment tombé au bon endroit : « Les Saracens reposent sur un principe fort. Si tu leur donne beaucoup, ils te le rendront en retour. Le club se comporte comme une famille, les joueurs sont choyés comme dans peu d’autres endroits. On va vous aider dans tous les aspects de votre vie. Ici, il y a même une crèche pour les enfants des joueurs. » Les Saracens lui ont offert une fin de carrière en crescendo, qui compense le sacrifice d’une grosse

poignée de sélections. « Évidemment, j’ai vécu tant de grands moments ici. Si je ne devais en citer qu’un, ce serait bien sûr le quart de finale que nous avions gagné à

Colombes face au Racing à la dernière minute, sur une pénalité décalée que j’ai réussie face au vent.

Hodgson ne la sentait pas. À l’échauffeme­nt, on avait senti que le vent nous perturbera­it. C’est sûr que mes coups de pied lointains m’ont servi à me faire une place ici.

Pour ma première saison, j’avais failli entrer en jeu en fin de match à Wembley contre Toulouse, uniquement pour ça. Cela ne s’était pas fait et nous avions perdu. Mais quelques semaines plus tard, en championna­t contre Exeter, j’en avais pris une à plus de cinquante mètres que Farrell ne sentait pas.

Et je l’avais réussie… » À son arrivée, il apportait une touche de finesse à une ligne de troisquart­s programmée pour jouer les béliers avec les Brad Barritt, Duncan Taylor, le treiziste Joel Tomkins ou encore l’Écossais Duncan Taylor : « J’étais celui qui pouvait faire jouer vers les extérieurs. Mais j’ai dû bosser physiqueme­nt pour être au niveau et m’infliger des séances de plaquage, encore et encore. De plus, le système était totalement différent de celui de Biarritz. Ici, on est plus sur la « rush défense » avec la volonté de couper les extérieurs. Patrice Lagiquet nous faisait attendre et décaler. » Malgré son style si délicat, Marcelo s’est fondu dans la machine de guerre des Sarries « conduite par un staff qui veut toujours innover sous la conduite de Mark McCall. C’est ce qui fait la différence ». Peu à peu, il a vu les résultats s’enchaîner, les adversaire­s s’inquiéter et surtout les jeunes talents émerger : « Farrell, le chef d’orchestre d’abord. Avec sa volonté de gagner qu’il n’exprimait pas toujours de la meilleure des façons. Mais il a beaucoup mûri et il a su dominer ses émotions. Maro Itoje, je l’ai découvert en Coupe d’Angleterre où le club joue traditionn­ellement avec une équipe remaniée. Je n’aurais pas dû jouer mais il y avait des blessés. Il était très jeune mais déjà capitaine. J’ai tout de suite compris qui c’était. Il n’avait pas besoin de parler tellement il était efficace. » À 35 ans, Marcelo Bosch a senti qu’il lui faudrait prendre du recul. Il a pris la décision de sa retraite sportive sereinemen­t, sans la contrainte d’une quelconque blessure. « Un chef d’entreprise m’a proposé d’entrer dans sa société de fruits, qu’il veut développer en Amérique du Sud. Je vais travailler avec Marcos Ayerza, l’ancien pilier des Pumas qui jouait à Leicester. Je vais encore rester quelques mois en Angleterre pour apprendre le métier. Et comme ce patron est aussi président de Burton, un club amateur des Midlands, je vais rechausser les crampons pour les aider. » En cette année de Coupe du monde, on aurait aimer le voir finir sous son maillot national au Japon. Le destin ne lui a pas offert ce privilège : « Mais j’ai quand même de grands souvenirs avec les Pumas et notamment notre première victoire

en Afrique du Sud en 2015 à Durban (37-25). » Bosch avait réussi

un full house, ce jour-là. « Mes deux enfants, des faux jumeaux, venaient de naître. Je venais de quitter l’hôpital rasséréné, ils allaient bien, tout allait bien. C’était un moment merveilleu­x. »

« J’étais celui qui pouvait faire jouer vers les extérieurs. Mais j’ai dû bosser physiqueme­nt pour être au niveau et m’infliger des séances de plaquage. »

« Quand je suis arrivé en France, j’étais encore un gamin. J’avais fait mes premiers stages avec les Pumas alors que je n’étais même pas profession­nel. C’est Biarritz qui m’a fait grandir. »

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