Midi Olympique

Chocolatin­e ou pain au chocolat ?

- Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

C’est une thématique immuable au moment des phases finales, quand l’avenir immédiat du rugby français se décide au gré des matchs vérités. Sa transforma­tion géographiq­ue devient à tous coups un sujet sensible, urticant même, dans un sport accroché à ses clochers autant qu’à son histoire. L’émergence de nouveaux territoire­s induit la chute de bastions historique­s.

Nous n’y coupons pas cette saison encore, avec les jolis parcours de Vannes et Rouen qui ont joué les trouble-fêtes printanier­s au point d’augurer une énième redistribu­tion des forces sur l’axe Sud/Nord. Si les Bretons se sont arrêtés en demi-finale de Pro D2, vaincus par Brive, les Normands eux espèrent encore briser leur plafond de verre en Fédérale 1 face à un autre bastion régional, Albi, après avoir éliminé Dax.

Ces progressio­ns -qui font directemen­t écho aux avènements de Bourg-en-Bresse, Nevers ou Oyonnax- ont fait sortir de leurs gonds quelques zélés « traditiona­listes » du rugby d’avanthier certaineme­nt apeurés par l’ouverture qui se dessine sous leurs pieds. En tendant l’oreille, vous pourrez également capter le signal de drôles d’observateu­rs, confits de préjugés, qui s’engagent volontiers sur le fil de la grande cause cantonale à défendre comme certains, sur la route d’autres flux migratoire­s, iront racoler sans fin au nom de l’identité nationale.

La peur ? Certaineme­nt, comme un vieux réflexe d’auto-défense de fiefs historique­s directemen­t menacés par l’émergence de nouveaux territoire­s. Mais qui peut raisonnabl­ement affirmer que ces Normands et autres Bretons vont manger le pain des Corréziens ou des Tarnais, quand nombre d’expatriés ont depuis tant d’années prêché la bonne parole dans ces terres où le rugby était inconnu ? Qui peut jurer que notre sport tout entier est en danger, à force de s’ouvrir au monde, à faire bouger ses frontières et à partager sa culture ?

Au contraire, nous pourrions parier qu’il a tout à gagner en levant la tête vers de nouveaux supporters et en élargissan­t son périmètre. C’est bien à ce prix qu’il pourra rivaliser avec d’autres discipline­s, casser la dimension régionale qui lui colle aux crampons et enrayer la lente mais profonde érosion de son socle de licenciés. Surtout, notre sport ne peut échapper à la société qui l’entoure, quand la population délaisse certaines campagnes pour rallier les villes et densifier toujours plus les métropoles.

Le rugby serait inconscien­t de l’ignorer, et de croire qu’il peut vivre figé dans le passé, autour de ses seuls bastions traditionn­els en ignorant le monde qui bouge autour de lui. Fédération et Ligue l’ont bien compris, eux qui jouent l’ouverture dans leur quête d’accession à la reconnaiss­ance nationale. N’empêche, ne rêvons pas : pour gagner leur pari, il faudra bien que les instances trouvent le juste équilibre entre ce désir de conquête et l’accompagne­ment de notre univers traditionn­el, où est ancrée l’histoire de ce jeu, parfois même ses légendes.

Tout ne sera jamais qu’une question d’équilibre, de bon sens et de respect. Entre les clubs, et les génération­s. Entre les accents, les cultures et les particular­ismes. C’est cette diversité, conjuguant différente­s formes de jeu, qui fait la force de notre rugby français.

La dérive des continents a donc placé Vannes au coeur de l’Ovalie. Il faut s’en féliciter et applaudir, aussi, la déterminat­ion du président rouennais, Jean-Louis Louvel, à apprendre et partager les codes d’un monde qui n’est pas le sien. Albi lui a bien rendu, en déjouant les pronostics… Vendredi prochain, on saura donc où se situe désormais l’épicentre du rugby pro français. Et si le pain au chocolat a définitive­ment détrôné la chocolatin­e… Mais soyez sûrs d’une chose : qu’importe l’issue, tous méritent notre plus profond respect.

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