L’HÉGÉMONIE IRLANDAISE
Cette saison, l’Irlande a imposé une hégémonie sans partage (grand chelem). Seule la France a été un contradicteur à sa mesure jusqu’à la dernière minute. Les Irlandais n’étaient donc pas imbattables mais ils ont gagné. Cette mainmise sur l’Europe est-elle à même de perdurer jusqu’à la prochaine Coupe du monde ? Il ne sera pas évident de rester au top du classement jusqu’au coup d’envoi au Japon. C’est justement, surtout quand tous les indicateurs de performance sont au beau fixe, que les bons résultats de la saison préMondial entretiennent la confiance utile dans son jeu. Comme pour toutes les équipes qui gagnent, pérenniser la dynamique que génère le succès contre des adversaires encore plus mobilisés n’est pas simple. Pour maintenir un collectif investi, le sentiment de compétence que procure la réussite antérieure ne suffit pas. Si l’on veut continuer la course en tête, il s’agit bien d’un défi, celui de l’accès à une maîtrise supérieure plutôt que l’obtention de résultats ponctuels pour éviter de devoir « prendre les matchs les uns après les autres ». C’est bien une stratégie « motivationnelle » qu’il s’agit de développer. Elle repose pour le joueur sur une analyse saine, en termes de « bénéfices et coûts », des progrès personnels et collectifs à faire, sinon… dans un contexte de défaites se développera perfidement une incitation à un engagement moindre. L’obligation et la création d’une solidité mentale tant personnelle que de groupe devient essentielle. Préserver sa supériorité du moment demande donc effort, investissement coopération et accès à une autonomie grandissante que doit entretenir le staff. Les Blacks parviennent à surfer sur cette dynamique.
À cette aune, la réussite globale et l’excellence du rugby irlandais au niveau national et des clubs franchisés interpelle. On ne peut nier que la verte Irlande a des atouts. Le modèle de jeu de l’équipe nationale, l’esprit de combat historique de son rugby, les nécessités technico-tactiques que son jeu réclame sont en phase avec le meilleur niveau et diffusent depuis pas mal d’années sur les quatre franchises. La réussite en quart de finale du Leinster et Munster, respectivement contre les Saracens et Toulon en font foi, mais l’Ulster et le Connacht, moins souvent sur le devant de la scène, respectent ce cadre de performance. Ce qui ne veut pas dire pour autant que le jeu proposé soit identique. Basé sur les mêmes valeurs et principes, le jeu des uns n’est pas totalement le jeu des autres. La petite différence est à chercher en fonction de la plus ou moins grande place allouée au jeu de mouvement et aux « régulations adaptatives » qui vont avec… ou… au poids accordé à un plan de jeu programmé. Le juste milieu entre ces deux conceptions est me semble-t-il réalisé par le Leinster qui sait sortir des schémas préétablis et répondre avec plus de justesse en « plein mouvement » aux rapports de force attaque-défense rencontrés. Cette adaptation collective est essentielle car en conséquence, elle mobilise les compétences de polyvalence attendues, quel que soit le poste occupé. Une richesse tactique qui m’autorise à faire du Leinster le favori de cette Coupe d’Europe 2018. Un succès qui validerait la réussite globale du rugby irlandais. Ceci ne fait pas pour autant de leur l’équipe nationale les futurs champions du monde mais les installe positivement parmi les prétendants.
Dans cette Coupe d’Europe, peut-on avancer que nos clubs sont si loin ? Pas vraiment. On a largement le potentiel. On a rivalisé, on a répondu au degré d’engagement utile à ce niveau de compétition… mais on n’a pas gagné, j’exclus de cette remarque les oppositions franco-française Clermont - Racing et Pau - Stade français car on ne saurait dire qui aurait gagné si ces clubs avaient été confrontés à des oppositions étrangères. Il ne manquait rien ou si peu à La Rochelle, à Toulon voire à Brive pour qu’il en soit autrement.
Créer cette dynamique passe par notre équipe nationale qui doit être la vitrine du jeu « made in France ». J’ai, nous, avons envie de voir les Bleus aspirer à un jeu où l’offensif et le défensif ne se contrarient pas, où s’articule avec pertinence nécessaire organisation et nécessaire liberté d’initiative et d’action dans le cadre de références communes. Avec un rugby porteur d’un label identifié, les retombées ne manqueraient d’avoir des conséquences très favorables, tous niveaux confondus, sur la pratique, les pratiquants et les encadrants.