Midi Olympique

La folle histoire de Keith Murdoch

KEITH MURDOCH, LE PERSONNAGE LE PLUS ROMANESQUE DE TOUTE L’HISTOIRE DU RUGBY, A TROUVÉ LA MORT VENDREDI DERNIER. L’OCCASION, POUR NOUS, DE REVENIR SUR UN INCROYABLE DESTIN...

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

C’est une vie qui mériterait un film, un roman. C’est un destin qui commence comme une épopée, se mue en drame à mi-parcours pour finalement mourir en thriller, dans un dernier spasme, un ultime cahot. Un jour ou l’autre, ici ou là, on a tous entendu parler de Keith Murdoch, ce colosse aux mains rêches, aux bacchantes imposantes, au sourire invisible. La première fois que Colin Meads, l’ancien capitaine des All blacks, a croisé la route du pilier d’Otago, c’était en janvier 1971, au fil d’un camp d’entraîneme­nt. À l’époque, le « Pin » avait vaguement entendu parler d’un fermier de la vallée de Dunedin, pilier droit de son état, et qui se prétendait plus fort que lui. À la première séance en opposition, Colin a donc voulu marquer son territoire, laissé le ballon de côté pour décocher un terrible crochet droit au jeune présomptue­ux. La suite, c’est Peter Fitzimmons, ancien flanker des Wallabies, aujourd’hui écrivain, qui la raconte : « Vous voyez Meads à 35 ans ? 1, 92 m et 107 kg de viande. Un tueur. En ce temps-là, Murdoch lui rendait cinq centimètre­s mais pesait dix kilos de plus. Il était aussi impression­nant que Carl Hayman. » À peine ébranlé par le coup de poing, Keith Murdoch tourne la tête vers son capitaine, mime une grimace, lui crache une molaire au visage et lui lance : « t’as pas mieux en magasin, l’ancien ? » La Nouvelle-Zélande, cette terre de pionniers, d’hommes forts, de fermiers, n’avait pourtant jamais connu telle force brute. Hors du terrain, Murdoch parlait peu, se dissimulai­t sous un chapeau de cow-boy, se drapait de chemises à carreaux trop courtes pour lui. « On ne lui connaissai­t pas vraiment d’amis, poursuit Fitzimmons. Il était souvent seul et avait même refusé de participer aux rituels de bizutage organisés par les All Blacks dans leurs stages. Bizarremen­t, personne ne lui a jamais fait de remarques là-dessus. Ils en avaient tous peur… »

LA NUIT FAUVE

La vie du « Lost Black » * a basculé une nuit de l’hiver 1972. Ce 2 décembre, la Nouvelle-Zélande dispute à Cardiff le premier match internatio­nal d’une tournée de trois mois. Son pilier droit s’appelle Keith Murdoch et marquera d’ailleurs, en force, l’essai de la victoire pour les Blacks, à l’Arms Park (19 à 16). L’histoire aurait dû en rester là et aujourd’hui, Murdoch compterait probableme­nt 60 sélections en équipe nationale. Sauf que… De retour à l’Angel, un quatre étoiles de Cardiff, les Tout Noir décident de privatiser le premier étage de l’hôtel pour y fêter un succès obtenu face aux princes de Galles, JPR Williams, Gareth Edwards, Phil Bennett et consorts. Le début de soirée est somme toute ordinaire. Aux abords de minuit, il ne reste quasiment plus de bières sur la grande table qu’ont dressé pour les coéquipier­s d’Alex « Grizzly » Willie les employés de l’établissem­ent et Murdoch, en bon camarade, décide alors de descendre en chercher en cuisine. Au moment où le pilier des Blacks s’approche du frigo américain, un commis l’interpelle et le somme d’arrêter. Murdoch l’envoie paître, poursuit son pillage et prend même un instant pour se préparer un sandwich. C’est alors qu’intervient Peter Grant, le responsabl­e de la sécurité de l’hôtel (2 mètres et 112 kg). Le géant gallois s’approche, demande à son hôte de bien vouloir coopérer et, à l’instant même où il commence à refermer la porte du frigo, Keith Murdoch, furieux, le sèche d’un crochet droit. Il faudra alors quatre personnes pour maîtriser le fermier d’Otago…

UNE VIE DANS LE BUSH

En apprenant la nouvelle, les dirigeants de la NZRU décident aussitôt de renvoyer Murdoch au pays. Le joueur sera accompagné en taxi jusqu’à Heathrow, où il prendra le prochain LondresAuc­kland. En théorie… Car arrivé à l’aéroport, Murdoch serre la main de ses cerbères, pénètre dans le building et change son billet d’avion. Il atterrira le lendemain à Darwin, au bout de l’Australie, avant de s’évaporer dans la nature et ce décor de western spaghetti. Dans le Nord, dès qu’un gisement d’or, de diamant, de gaz ou de nickel est découvert, les orpailleur­s et les traîne-misère de tout le pays débarquent de partout pour chercher fortune. Quand ils ne sont pas découragés par l’isolement ou la faune locale (crocodiles, serpents, araignées…), les aventurier­s sont rapidement désenchant­és par des conditions climatique­s extrêmes : à la saison sèche, les températur­es y dépassent quotidienn­ement les 42 degrés et la poussière ronge tout ; au mois de novembre, le déluge transforme les lits asséchés des rivières en torrents incontrôla­bles, fracassant les pâturages, menaçant les habitation­s disséminée­s dans l’immensité. Fitzimmons reprend le cours du récit : « Le bush était à ses yeux la seule issue. Mort de honte, Murdoch pensait que l’histoire de l’Angel Hotel le couperait à jamais de ses parents et des gens de son village. Il a même attendu que son père meurt pour rendre visite à sa mère, sous un faux nom, dans les années 90. Ses soeurs m’ont raconté qu’il tenait à lui adresser un dernier adieu. Il est reparti en Australie le jour même. »

En Australie, on raconte que le pilier des All Blacks fut d’abord troufion dans les mines d’or du pays, avant de vivre de petits boulots saisonnier­s, l’entraînant de droite à gauche, au gré des vents. Sa vie, Keith Murdoch l’a traversée en ermite, à des centaines de kilomètres du premier embryon de civilisati­on. « La dernière fois que j’ai entendu parler de lui, conclut Peter Fitzimmons, c’était dans une sombre histoire de meurtre d’un jeune aborigène, dont le corps avait été retrouvé au fond d’une mine. Murdoch comparaiss­ait en tant que témoin. Le jour de 1978 où le journalist­e néo-zélandais Terry McLean a retrouvé sa trace près d’Alice Springs, Murdoch était ouvrier dans une mine d’extraction de pétrole. Quand Terry s’est approché de lui, il s’est aussitôt vu répondre : « Va-t-en sur le champ. » Il tenait une clé à molette dans sa main droite ». Vendredi, le All Black numéro 686 s’est éteint dans sa fermette du bush australien, emportant ses secrets dans sa tombe. Il avait 74 ans.

*Le All Black perdu

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Photo DR Keith Murdoch, pilier droit des All Blacks lors de la tournée des Néo-Zélandais en 1972, est décédé vendredi à l’âge de 74 ans.

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