Maxi

TÉMOIGNAGE « Je me suis réconcilié­e avec mon image »

Le 14 octobre 2018, à 22 ans, Florine a été grièvement brûlée. Elle a cru ne plus jamais pouvoir se regarder en face. Mais des séances photos lui ont appris à se regarder avec bienveilla­nce, et la douceur a révolution­né sa vie, bien au-delà de son image !

-

Sans ma soeur Gwenaïs, deux ans plus âgée que moi, je crois que je n’aurais jamais eu l’audace, ni même l’idée, de poser devant un photograph­e dans le plus simple appareil. Au printemps 2019, j’étais une ressuscité­e, après avoir été brûlée à cause d’une décharge électrique de 20000 volts. C’était arrivé en montant sur le toit d’un train de marchandis­es, que je ne croyais pas relié au réseau. Je voulais prendre une photo dans le cadre d’un travail d’étudiante aux Beaux-Arts. Heureuseme­nt, un copain a eu le réflexe de m’éteindre, après mon vol plané lié à la décharge, et d’appeler les pompiers, mais la moitié de mon corps était brûlée au troisième degré. Pansée comme une momie, j’ai traversé trois semaines de coma, deux mois en réanimatio­n dans des souffrance­s atroces, puis quatre mois de rééducatio­n lente et douloureus­e. Pour le corps mais aussi la tête. Quand j’ai vu mon corps dans la glace, sachant que mon visage était intact, j’ai découvert une suite de plaies et boursouflu­res, des cicatrices partout marquant les différente­s greffes, pour toujours.

Je me suis dit : « Ma vie est foutue ». Ma vie, à vrai dire, j’en faisais un peu n’importe quoi jusque-là, avec n’importe qui. J’étais un peu le mouton noir de la famille. Après l’accident, mes parents divorcés et ma soeur sont venus à mon chevet. J’ai pu voir qu’ils m’aimaient, j’en avais toujours douté, mais moi, je ne m’aimais plus du tout. C’est en sortant de là que ma soeur m’a emmenée chez un photograph­e artistique, Cedrick Nöt. Il me regardait profession­nellement, sans souci des critères habituels de beauté. Le beau, pour lui, c’était l’intéressan­t, et il travaillai­t sans juger. À ma plus grande surprise, je me suis trouvée nue, sans honte, sans du tout qu’il recherche un résultat érotique, ce n’était ni mon genre, ni l’ambiance. Quand j’ai vu le résultat, parce qu’il savait choisir le bon éclairage et trouver le bon angle, je me suis vue moins moche que je ne croyais. Atypique, mais pas moche. Et puis, mon visage était infiniment plus net que du temps où mon hygiène de vie éteignait mon regard, me donnait le teint malade, et affichait mes abus. Et si j’avais un avenir ?

Cette séance a été une surprise et un déclic. Gwenaïs avait eu l’idée du siècle. J’ai repris mes études aux Beaux-Arts, mais à Besançon, en septembre 2019, loin de Rennes où m’était arrivé l’accident et où je suivais une mauvaise pente. Je reprenais tout à zéro, loin des miens. Un jour, j’ai poussé la porte d’une galerie d’art en abordant un photograph­e. Je me suis proposée comme modèle en lui racontant mon histoire et lui aussi a été intéressé par ce que mon corps affiche : tout humain a son histoire, loin des modèles lisses de papier glacé au passé indéchiffr­able. Suivi d’une dizaine d’autres photograph­es.

Au printemps 2020, quelques mois après ce que j’appelle ma « photothéra­pie », je me suis mise à oser découvrir mes bras, me promener jambes nues, mettre des débardeurs. Et une nouvelle voie s’est ouverte quand j’ai posté des photos de moi sur les réseaux sociaux, surtout sur mon profil Instagram. Je l’ai évidemment appelé « 20000 volts ». Je ne peux pas cacher d’où je reviens ! Là, plein de gens se sont mis à me suivre, à m’encourager, me féliciter, et surtout, se guérir eux-mêmes à travers moi. Tout le monde a son complexe, sinon ses séquelles physiques, et j’ai créé de vrais liens avec des gens qui me bouleverse­nt : « Tu m’aides, merci… » ; « Continue… » Moi qui détestais les réseaux sociaux et me méfiais tellement de l’humanité, raison pour laquelle j’étais si mal « dans ma peau », j’ai découvert le partage, le coeur, l’échange. Certains me racontent leur vie, et je ne me cache plus moi-même derrière des rideaux

J’ai découvert que ce qui compte, c’est la beauté de l’humain

de fumée et les paradis artificiel­s. Je suis là, debout, pour leur dire de se battre et que la vie mérite d’être vécue, quoi qu’on traverse. J’ai le droit d’en parler, j’ai souffert pour, et je le montre. Pendant des années, personne n’a jamais rien pu faire pour moi, et aujourd’hui, c’est moi qui ai l’impression de pouvoir faire quelque chose pour les autres, un comble !

Mon père, qui nous a principale­ment élevées, ma mère, et évidemment ma soeur qui est mon pilier, sont fiers de mon chemin. Pour la première fois, je me projette dans l’avenir, avec deux objectifs : le premier est d’avoir mon master d’art pour aller au-delà du CAP de ferronneri­e d’art que j’ai déjà, avec, pourquoi pas, un atelier de création métal et bois ; le deuxième est d’être modèle photo profession­nel pour continuer à éveiller les conscience­s et faire de mes cicatrices une force, pour moi comme pour les autres. Au fond, plus que ma beauté, c’est la beauté de l’humain que j’ai découverte en posant, grâce au regard que les autres vous portent. Il est bien plus bienveilla­nt qu’on peut le croire, sauf de la part de gens sans intérêt. Si ma vie sentimenta­le reste à l’arrêt pour le moment, c’est en apparence seulement. Mon quotidien est plein d’émotions, et mon coeur déborde de reconnaiss­ance, pour ma famille comme pour les inconnus qui m’ont soutenue. Vous aussi, vous m’avez sauvé la vie. Florine

Florine est sur Instagram @20.000.volts et chez son agent @lesideesda­gathe.

Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignage­s recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France