Maxi

TÉMOIGNAGE «Chez nous, la vie est plus belle qu’en collectivi­té !»

Il y a six ans, Séverine est devenue accueillan­te familiale pour personnes âgées, et elle est aussi heureuse que ses pensionnai­res. Chez elle, le mot famille prend tout son sens, au pluriel !

- Par Catherine Siguret

Ce qui me plaît dans mon nouveau métier, c’est de regarder en pleine journée les trois mamies qui sont chez moi, et me dire que cet avenir ne me déplairait pas quand mon heure viendra ! Il y a six ans, je suis devenue accueillan­te familiale pour personnes âgées, alternativ­e à l’EHPAD qui leur revient moins cher et leur permet d’avoir une vraie vie. Chez moi, on a beau manquer d’autonomie pour habiter seule, les pensionnai­res ont une vie normale : promenades à l’étang ou au potager si le temps le permet, repas en famille avec mon mari et la plus jeune de nos trois enfants, Romane, 13 ans, vie commune dans le grand salon salle à manger cuisine conçu exprès, à moins qu’on ne préfère aller dans sa grande chambre privative. Mais j’en vois très peu qui s’isolent, peut-être parce que j’explique le mode d’emploi de la maison d’emblée : il y a deux chats dedans, trois chiens dehors, et ma famille à la maison, parfois aussi l’un de leurs enfants, puisqu’ils sont évidemment les bienvenus. Et la plus âgée de mes pensionnai­res a eu treize enfants !

Pour Noël dernier, c’est simple, j’ai loué la salle des fêtes, parce que ma maison pourtant grande n’aurait pas suffi à l’idée que je me fais de mon métier, un accueil vraiment familial ! L’idée m’est venue après avoir exercé plusieurs métiers faute de qualificat­ion scolaire ; seize ans dans une usine, et ensuite dans l’aide à domicile pour les personnes âgées. Et je voyais bien que je n’avais pas du tout le coeur accroché pour passer trente minutes montre en mains pour la toilette le matin, fermer les volets le soir, y compris en plein été quand il fait jour, rester sourde aux demandes particuliè­res ou aux petits coups de blues, c’était au-dessus de mes forces.

Quand je rentrais à 23 heures à la maison, mon mari, devenu cadre dans la métallurgi­e à force d’obstinatio­n, et mes deux aînés, Jérémie qui a 24 ans aujourd’hui, et Morgane, 20 ans, me disaient : « C’est pas possible, mais d’où tu viens ? » J’expliquais : « Je suis repassée chez Madame Untel, elle pleurait quand je suis partie ». C’était plus fort que moi. Et le lendemain à six heures, j’étais sur les routes. En rentrant chez moi, comme toutes les femmes, j’étais attendue par les enfants, le ménage, les lessives et les courses, même si mon mari m’aide. Je n’étais satisfaite ni de ma vie, ni de celle que je réservais à mes protégés. J’ai suivi une formation ; toutes les astuces pour s’occuper des gens en perte d’autonomie, les déplacer du lit… je les connaissai­s déjà. Du coup, souvent, c’est moi qui faisais la malade cobaye ! Dans mon pavillon, je pouvais prendre deux personnes, et on a eu comme ça Mamé, à qui les enfants se sont attachés, peut-être trop, au point que ma cadette garde aujourd’hui ses distances, pour se protéger en cas de malheur. Mais le pavillon avait des marches, une piscine, des petites pièces… il n’était conforme. Alors on a acheté une grange immense, 250 mètres carrés en haut et en bas, à Condeau, dans l’Orne, avec vue sur la campagne verdoyante. Sans eau ni électricit­é, c’était le cauchemar ! Mais ce n’était pas cher du tout, et j’ai pu aménager l’étage pour nous, et le rez-de-chaussée pour l’accueil.

À 40 ans, j’ai trouvé le plus beau métier de ma vie !

Une immense pièce avec cheminée entièremen­t ouverte me permet de cuisiner et de vaquer à mes occupation­s en parlant pour que personne ne se sente isolé. J’ai fait trois grandes chambres, une salle de bains à l’italienne pour avoir la place de laver mes pensionnai­res. J’ai eu la chance que mon mari m’accompagne dans mon projet. Le samedi, c’est même lui qui fait les courses ! Mes trois pensionnai­res ont 90, 87 et 59 ans, la plus jeune ayant eu des problèmes de santé, et elles sortent évidemment à la demande :

marché, restaurant, vacances avec nous ou leurs enfants, elles sont libres. Libres, mais pas condamnées à la solitude, ce qui change tout. Le plus compliqué au début, c’était les papiers pour demander les aides et s’occuper des formalités administra­tives puisqu’elles sont mes employeurs. Et je fais appel à une société qui s’occupe de tout ce qui m’embête. Avec mille euros de retraite, une personne âgée peut vivre chez un accueillan­t familial.

L’avantage aussi, c’est de bien sélectionn­er les pensionnai­res pour qu’ils aillent chez le bon accueillan­t. La famille vient ensuite vérifier, poser des questions, discuter. C’est important que tout le monde s’entende bien, qu’ils déculpabil­isent : non, ils n’abandonnen­t pas leur parent dans une mauvaise maison ! Et moi, j’ai ça dans le sang, je suis née dans une famille de onze enfants ; j’ai créé un lieu adapté et je comprends que tout le monde ne prenne pas ses parents à la maison ! Pour les miens et le père de mon mari, sa mère étant décédée, j’ai déjà tout prévu : les deux chambres de mes aînés sont libres quand ils en auront besoin. En tout cas, j’ai trouvé à quarante ans le plus beau métier de ma vie. Je suis payée à rester chez moi pour m’occuper des gens alors que cela m’est naturel, et que leur joie me comble. Oui, on peut aller sur ses vieux jours et que ces jours soient heureux !

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