Maxi

« Le sport m’a sauvée de la violence de mon père »

Ancienne capitaine de l’équipe de France de football féminin, Marinette révèle aujourd’hui l’enfer qu’elle a vécu enfant. Et comment le ballon rond l’a aidée à tenir et à se construire…

- Marinette

Quand je vois les jeunes footballeu­ses, je ne peux m’empêcher d’être émue. Je me demande quels sont leurs rêves, leurs envies et peut-être même leurs blessures secrètes. Moi aussi, j’ai été à leur place. Mais cet été, après 112 sélections et 81 buts en équipe de France, je me lancerai dans une nouvelle aventure. Je vais ouvrir ma première Football Academy pour permettre à des jeunes filles de 8 à 16 ans de pratiquer leur passion du ballon rond. Elles me font confiance car elles savent que je reviens de loin. Aujourd’hui, même si j’ai raccroché les crampons, impossible pour moi d’abandonner ce sport qui m’a tant donné. Sans lui, je ne serais peut-être pas là aujourd’hui. Je peux même dire que le football m’a sauvée… Ma vie a changé un mercredi, le jour où le ballon rond est entré dans ma vie. J’avais cinq ans, mais le souvenir reste gravé à jamais. Nous nous promenions en ville avec ma mère et, soudain, j’ai entendu plein d’enfants crier, s’encourager et rire. Intriguée, j’ai tiré la main de ma maman et nous avons franchi les portes du Stade briennois. Ce fut tout de suite une révélation. Je n’avais déjà qu’une envie : aller jouer avec eux. Quand l’un des éducateurs du club m’a proposé de les rejoindre, alors que j’étais une fille, je n’y ai pas cru ! Les garçons ont été un peu étonnés, mais l’éducateur leur a demandé de bien m’accueillir et tout s’est bien passé. J’étais dans mon élément. Une semaine après, j’avais ma licence ! Je me rappellera­i toujours, aussi, de mes premières chaussures, noires et vertes. À l’époque, la marque de référence était celle des chaussures de Michel Platini… Celle que je voulais absolument et sans doute l’un des plus beaux cadeaux que j’ai reçus de ma mère. Elle était aide ménagère à domicile chez des personnes âgées et, même si elle n’avait pas beaucoup de moyens, elle a toujours voulu le bonheur de ses enfants. Mes coéquipier­s aussi m’ont toujours encouragée. Grâce à eux, je me sentais forte, intouchabl­e. Ils l’ignoraient à l’époque, mais j’en avais bien besoin… La vie à la maison était malheureus­ement moins drôle que sur le terrain. J’avais un père absent, alcoolique, humiliant. Difficile de faire pire… Je n’ai pas oublié ses moqueries. « De toute façon, tu es nulle, tu ne sais pas jouer ! », me disait-il. Il n’est jamais venu me voir au bord d’un terrain et n’a jamais manifesté la moindre fierté à mon égard. Il ne m’a jamais soutenue et ne m’a jamais dit qu’il m’aimait. Il partait au travail, rentrait le soir, et passait ensuite son temps à boire, seul. Un jour, alors que l’on venait de gagner 5-0 et que j’avais marqué 4 buts, il m’a dit : « De toute façon, tu ne feras jamais rien de ta vie. » Une autre fois, ses mots ont été encore plus violents : « Tu vois les arbres là le long de la route ? Tu veux choisir lequel pour que j’aille te mettre dedans ? » Alors, je mettais mon casque sur les oreilles pour écouter de la musique et le laisser vomir sa haine. Le football me permettait de m’échapper et d’exister autrement. Il m’a permis de me construire. Un jour, je me suis interposée alors qu’il menaçait ma mère avec un couteau. Il a même agressé ma grand-mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ma soeur a fini par appeler la police. Il fallait qu’il sorte de notre vie, il a été condamné à dix ans de prison et il est mort sans s’excuser ni exprimer le moindre remords. Il n’aura pas gâché toute ma vie et, dans mon malheur, j’ai également eu de la chance. Tout aurait pu s’arrêter à l’âge de 16 ans. J’avais alors désormais atteint l’âge limite pour jouer avec des garçons. Heureuseme­nt, un dirigeant a créé un club de filles situé à 80 km de la maison. J’ai passé les tests et j’ai été retenue. Je l’ignorais encore, mais ma carrière était lancée. Puis j’ai eu beau avoir marqué plus de 300 fois, à chaque but, c’était un sentiment différent. Le jour de

Le football m’a permis de m’échapper et d’exister autrement

ma première sélection en équipe de France Espoirs, en 1993, j’ai compris que tout était possible. Puis j’ai intégré l’équipe de France, l’année suivante. Les sélectionn­eurs appréciaie­nt ma soif de marquer, tout le temps, quelle que soit la position. J’étais là parce que je savais « planter des buts ». Entendre La Marseillai­se, porter le maillot frappé du coq et représente­r son pays, il n’y a rien de plus fort. Pour moi, fâchée avec les études, c’était un honneur. Le football m’a permis de m’extérioris­er, de prendre confiance en moi. J’ai même eu droit à mon rêve américain. J’ai été repérée durant l’Euro 2001, recrutée par un club à Philadelph­ie et même été élue « meilleure joueuse du Championna­t américain » ! Sans vraiment m’en rendre compte, je suis devenue un modèle. J’ai donné envie à beaucoup de filles de s’inscrire dans des clubs. Je trouvais très touchant que l’on puisse s’identifier à ma personne.

Que serais-je devenue sans le football ? Cette question, je me la pose en permanence. Le sport m’a donné la force de survivre à un père violent et de me battre pour la vie. C’est cette histoire que je voulais raconter dans ce livre*. Sur le plan personnel, j’ai assumé mon homosexual­ité, rencontré l’amour et eu deux merveilleu­x enfants. Quand j’ai raccroché les crampons, j’ai repris mes études, à 40 ans, pour obtenir mon diplôme de manager au Centre de droit et d’économie du sport de Limoges. Grâce à cela, j’ai aujourd’hui la légitimité pour diriger un club féminin. Bien sûr, je garde quelques cicatrices intérieure­s. Parfois, je me dis que je n’ai pas mérité tout ce qui m’arrive. Et puis, je me rappelle que la vie est belle et qu’il ne faut surtout ne jamais lâcher prise. Jamais. Ne jamais rien lâcher, de Marinette Pichon (éd. First).

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 ??  ?? Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignage­s recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.
Les faits cités et les opinions exprimées sont les témoignage­s recueillis dans le cadre d’enquêtes effectuées pour réaliser ce reportage. Rapportés par Maxi, ils n’engagent que les témoins eux-mêmes.

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