Madame Figaro

DANIEL MARCELLI

“LA MIXITÉ PRÉPARE À LA VIE”

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des stéréotype­s sexistes. Les garçons seraient plus encouragés à poser des questions, les filles pas assez poussées en sciences…, résume Antoine Bréau, chercheur à la Haute École pédagogiqu­e de Lausanne. En présence de garçons, les filles auraient tendance à se sous-estimer. » Preuve que l’offre séduit, trois cents parents ont assisté à la réunion annonçant l’ouverture en septembre 2020, à Clichy (Hauts-de-Seine), du collège privé catholique SoeurMargu­erite. Particular­ité : la « mixité partagée ». Garçons et filles seront séparés pendant les cours, mais ensemble au sport, à la cantine et à la récré. S’épanouir et réussir chacun de son côté, tel est le double pari de la désunion scolaire. Mais retrancher chaque camp dans une espèce de

gender box n’est-il pas le meilleur moyen de renforcer les stéréotype­s ?

PLANTÉ ENTRE LES TOURS de Puteaux et l’îlot de verdure d’un jardin d’enfants, le collège Bienheureu­x-Charles-de-Foucauld pratique la « mixité partagée » depuis 2012. Dans ce quartier à proximité de La Défense, l’établissem­ent catholique de quatre cent cinquante élèves attire tous milieux et toutes religions. Filles et garçons se retrouvent durant la cantine, les récréation­s ou la chorale.

EN CETTE FIN DE MATINÉE, plots sous les bras, Nike aux pieds, des garçons rentrent d’EPS. Les cours se pratiquent dans l’entresoi XY ou XX… En histoire, la guerre de 14-18 se raconte aux adolescent­s sous le prisme des grandes batailles, aux adolescent­es, sous l’angle sociétal des femmes qui travaillen­t, les maris partis au front. En SVT, où la reproducti­on est abordée, on glousse moins. #MeToo est passé par là. « Vous n’imaginez pas combien, à l’adolescenc­e, les jeunes du même sexe ont un sentiment de liberté lorsqu’ils sont entre eux, souligne la dynamique chef d’établissem­ent Laurence de Nanteuil. Ils gagnent en confiance, et cette confiance en soi est la clé de la réussite scolaire. Les filles, comme les garçons, d’ailleurs, s’affirment, prennent la parole sans crainte d’être moquées. »

C’est sous la contrainte des directives européenne­s qu’en France la loi du 27 mai 2008 a prévu la possibilit­é d’organiser les enseigneme­nts « par regroupeme­nt des élèves en fonction de leur sexe ». En déboulonna­nt la chèrement acquise loi Haby, qui, en 1975, a rendu obligatoir­e la mixité dans l’enseigneme­nt primaire et secondaire, ce revirement a suscité un tollé idéologiqu­e. Une polémique loin d’être éteinte. Les pédopsys s’inquiètent de cette mise sous cloche à l’âge des premiers flirts. Les féministes dénoncent cet outil rétrograde qui détricote le vivre-ensemble : « C’est une mauvaise réponse à des préoccupat­ions légitimes. Pour construire l’égalité, il faut au contraire pousser la mixité dans les clubs de foot. Associer les hommes, insiste Olga Trostiansk­y, présidente de l’associatio­n Laboratoir­e de l’Égalité. Les petites filles vont dans des crèches où le personnel est féminin, sont élevées le plus souvent par leur mère dans les familles monoparent­ales. Va-t-on bientôt leur octroyer uniquement des professeur­es ? »

LINA, LA QUARANTAIN­E, se dit féministe. Mais ses conviction­s se sont heurtées à la réalité. En CM2, sa fille Emma, précoce sur les plans physique et intellectu­el, devient la cible de ses ex-copains. « Tu es la deuxième plus grosse de la classe », se moquent-ils. Elle veut jouer au foot ? « Dégage ! », la bousculent-ils. Résultat : une épaule démise. Maux de ventre, pleurs à la maison. « Je la voyais en souffrance », raconte Lina. Alors, quand la gamine lui a demandé « Ça existe, les écoles de filles ? », sa mère n’a pas traîné. Aujourd’hui en cinquième non mixte, Emma revit : « Je suis passée

Aucune étude ne prouve que la non-mixité performanc­es soit la clé de meilleures

Président de la Société française de psychiatri­e de l’enfant et de l’adolescent

La non-mixité, qui peut rassurer les parents, fait-elle du bien aux ados ? Séparer les combattant­s peut apaiser : l’éclosion pubertaire tombe pile poil au collège, brouillant les esprits… Il y a un décalage de maturité de 12 à 18 mois en faveur des filles. Dans les situations de souffrance, la non-mixité peut être un outil d’apaisement permettant de laisser le corps tranquille. À condition que ce soit transitoir­e. Les filles entre elles peuvent composer des noeuds de vipère !

Mais vous la considérez plutôt comme une réaction simpliste…

C’est un réflexe de protection contre le désordre de la sexualité, qui ne fait que retarder la rencontre souhaitabl­e de l’autre sexe !

Quelles sont pour vous les vertus de la mixité ?

Elle prépare à la vie, stimule les filles dans leur apprentiss­age et civilise les garçons. Les séparer au moment où l’identité sexuelle se met en place revient à leur signifier que ce serait dangereux de vivre ensemble.

Daniel Marcelli est l’auteur, entre autres, d’« Avoir la rage », aux Éditions Albin Michel.

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