BARRY JENKINS Le cri du coeur
Fidèle lecteur de James Baldwin depuis son adolescence, le réalisateur de Moonlight adapte Si Beale Street pouvait parler, l’histoire d’un amour qui transcende la haine. Dans l’Amérique raciste des années 1970, une jeune AfroAméricaine se bat pour prouver l’innocence de son fiancé, injustement emprisonné pour viol. Avec ce récit intime et politique, sublimé par sa mise en scène, Barry Jenkins s’impose comme l’un des conteurs les plus brillants du cinéma américain.
Madame Figaro. – Pourquoi avoir adapté ce roman ?
Barry Jenkins. – J’ai immédiatement été interpellé par la façon dont le romantisme était associé à un regard sociétal sur les injustices de notre monde et la colère qui en découle. C’était pour moi un prolongement cohérent de Moonlight, dont l’histoire était très proche de la mienne. Avec Beale Street, je voulais filmer un cocon plus solide, plus rassurant, et montrer en quoi l’environnement proche peut affecter les personnalités. Je veux en finir avec les clichés sur notre communauté et proposer dans mon cinéma un spectre de familles noires aussi large que possible. Votre film reste solaire malgré la tragédie qui se joue pour ce jeune couple… Je voulais l’image aussi organique et sensuelle que possible. Tish, mon héroïne, ne sait pas quelle sera la sentence pour son fiancé : elle vit dans une sorte de purgatoire où elle se souvient des moments doux et paisibles passés avec lui. Nous voulions retranscrire visuellement la poésie de ces souvenirs fantasmés et idéalisés à travers une image qui contraste avec la dure réalité qui finit par les rattraper. Pourquoi signer une nouvelle histoire de résilience après Moonlight ?
C’est, je crois, quelque chose d’ancré dans mon histoire personnelle et, plus généralement, chez les Afro-Américains. Notre survie est quasiment un miracle : Beale Street raconte justement comment l’amour, la famille et la solidarité permettent aux gens de combattre et de résister aux injustices.
Les dysfonctionnements dont vos personnages sont victimes restent d’actualité…
J’ai même songé à transposer l’histoire à notre époque qui, depuis l’élection de Trump, connaît un regain de violence et de racisme. Pour préparer son rôle, Stephan James s’est inspiré d’un garçon injustement emprisonné pour le vol d’un sac à dos, il y a quelques années : il refusait de plaider coupable et a passé trois ans en prison à attendre son procès.
Il a finalement été acquitté, mais s’est suicidé à sa libération. Des histoires comme celle-ci sont encore trop nombreuses : nous n’apprenons pas de nos erreurs…
Si Beale Street pouvait parler,