Madame Figaro

/Portrait: Mélanie Thierry.

Un césar en 2010, une filmograph­ie exigeante… Entre discrétion et déterminat­ion, elle trace son chemin sans concession. Dans “la Douleur”, un film d’Emmanuel Finkiel, l’actrice incarne Marguerite Duras : le rôle de sa vie ? Confidence­s.

- « La Douleur », d’Emmanuel Finkiel. En salles le 24 janvier.

ON LA DIT TIMIDE, RÉSERVÉE, SUR SES GARDES. Elle arrive en trombe dans un café parisien où elle a ses habitudes et affiche d’emblée un large sourire sur son beau visage que l’enfance ne semble jamais véritablem­ent quitter. À Montmartre, Mélanie Thierry se sent chez elle. Elle y vit depuis plusieurs années avec son compagnon – le chanteur-écrivain Raphael – et leurs deux garçons qu’elle préserve férocement.

Depuis presque vingt ans qu’elle fait du cinéma, l’actrice de 36 ans s’est tracé un chemin singulier, ne cherchant pas la lumière à tout prix, fuyant le formatage, à l’aise dans tous les genres, tournant avec une régularité de métronome jamais plus d’un film ou deux par an, sa vie personnell­e comptant tout autant. César du Meilleur Espoir féminin en 2010 pour « le Dernier pour la route », de Philippe Godeau, elle a marqué les esprits dans « la Princesse de Montpensie­r », de Bertrand Tavernier, « Comme des frères », d’Hugo Gélin, ou, plus récemment, « la Danseuse », de Stéphanie Di Giusto. Pourtant, elle reste une discrète, une actrice reconnue mais inclassabl­e. « On ne sait pas où me situer. Cela laisse plus de place à l’imaginaire, au vagabondag­e, mais cela peut aussi fermer des portes. Et puis, je ne joue peut-être pas toujours le jeu. » Inutile de compter sur elle pour faire semblant, minauder, calculer. Une rencontre suffit pour le comprendre : Mélanie Thierry est tout aussi entière qu’elle est paradoxale, capable de timidité comme de grands éclats, d’autorité comme de douceur, d’humour comme de gravité.

Le film « la Douleur », d’Emmanuel Finkiel, pourrait marquer un tournant dans sa carrière. Mélanie Thierry y joue le rôle principal. Elle porte le film en interpréta­nt une Marguerite Duras tantôt tragédienn­e shakespear­ienne, tantôt dure et sèche comme la pierre, qui attend le retour de son mari déporté durant la Seconde Guerre mondiale. « Il m’est rarement arrivé d’aimer aussi violemment un film, souligne-t-elle. D’emblée, la question du mimétisme avec Duras a été balayée. Déjà, parce que je ne lui ressemble pas du tout,

cela aurait été grotesque de vouloir l’imiter. Mais aussi parce que ce film raconte une autre Duras. À cette époque, elle n’avait pas encore pris son nom d’écrivain et n’était pas encore la femme de lettres célèbre que l’on connaît. » En 1944, la future romancière consigne la douleur de l’absence, du manque, du vide dans des cahiers qui, quarante ans plus tard, serviront de point de départ à son livre semi-autobiogra­phique. « C’est un texte que j’avais lu lorsque j’étais adolescent­e. Lire Duras, c’est presque un passage obligé, un rite initiatiqu­e, pour les jeunes filles. Comme la lecture de Simone de Beauvoir ou de Françoise Sagan. Plus tard, j’ai aussi découvert ses films ou ceux adaptés de ses romans, notamment “Moderato cantabile”, avec un Jean-Paul Belmondo beau comme un dieu, et “Hiroshima mon amour”. »

Mélanie Thierry a beaucoup écouté Jeanne Moreau, Emmanuelle Riva et Delphine Seyrig, muses du cinéma durassien qu’elle admire, pour s’approprier ses dialogues et la voix off du film. « Il y a une telle musique dans les mots de Duras que je me suis emparée très vite de sa mélodie. Elle m’aurait sans doute corrigée si elle m’avait entendue, mais je dois aussi faire avec ce que je suis. » Qu’elle incarne la jeunesse et la fougue de son personnage ou sa grande dureté, le résultat est saisissant. « Pourtant, je trouvais qu’il me manquait une dimension littéraire pour jouer une telle icône. Je complexe encore beaucoup, à cause de mon manque d’éducation. J’essaie de me soigner, de ne plus me dénigrer, mais cela refait surface de temps en temps. »

Le réalisateu­r Emmanuel Finkiel, lui, n’a eu aucun doute : « Une des chances du film, c’est d’avoir Mélanie Thierry pour jouer ce rôle complexe. » Ensemble, ils ont déjà tourné « Je ne suis pas un salaud » en 2015. Pour « la Douleur », l’actrice s’est totalement investie, s’accrochant au projet malgré les aléas d’un financemen­t chaotique, acceptant de travailler en équipe réduite, sans maquillage, et s’impliquant jusque dans la salle de montage, à la demande de Finkiel. « Les acteurs sont souvent infantilis­és, mais j’aime être responsabi­lisée, surtout avec quelqu’un comme Emmanuel. C’est un résistant : il a lutté pour mener ce projet à te rme. »

Mélanie Thierry est une actrice hors catégorie, habitée par ses rôles. Elle dit n’être « ni une dragueuse ni une flatteuse » : faire savoir son intérêt pour un casting sans y être conviée la met mal à l’aise. Plus encore, elle entend profiter de Roman et d’Aliocha, ses enfants de 9 et 4 ans. « Je ne serais pas capable de faire trois, quatre films par an. Je n’aurais pas le jus. Quand je me retrouve sur un tournage, je sais pourquoi. Je ne remplis pas de vide et, avec le temps, je gère mieux les pauses. Parce que je suis heureuse dans ma vie de famille, avec mes enfants. C’est un luxe, mais je n’ai pas besoin de m’imposer quoi que ce soit. J’ai la chance qu’on me propose de beaux rôles, même secondaire­s. C’était le cas d’“Au revoir là-haut”, d’Albert Dupontel, dont j’ai aimé l’univers chaplinesq­ue et populaire. Je n’ai jamais cherché la performanc­e, j’essaie juste de raconter quelque chose qui me ressemble. Et puis, au moins, grâce à ce rythme de tournage, on ne s’est pas encore lassé de moi. »

Sur son agenda, cette année : un personnage de fermière aux côtés de Pierre Deladoncha­mps dans « Le vent tourne », de la cinéaste suisse Bettina Oberli. Puis, une comédie réalisée par son compagnon, Raphael. « Ce sera son premier film, coécrit avec Samuel Benchetrit. C’est irrésistib­lement drôle. À défaut d’avoir une famille de cinéma, j’en ai une vraie, autant en profiter ! » Très proche des siens, elle avoue placer au-dessus de tout le regard de son frère, de ses parents et de son homme sur son travail. Rien d’étonnant qu’elle ait donc aussi choisi d’adapter une nouvelle de son amoureux pour son propre passage derrière la caméra. « Longtemps, j’ai rejeté l’idée de réaliser, je ne m’en sentais pas capable, mais l’Adami m’a demandé un court-métrage pour le Festival de Cannes et je me suis jetée à l’eau. Je suis un peu stressée, car prendre des décisions n’est pas toujours mon fort. Mais cela me donne aussi une vitalité folle et révélera peut-être quelque chose en moi. Seule l’expérience le dira ! »

Quand je me retrouve sur un tournage, je sais pourquoi

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