Lisons les Maudits

Nicolas Rey

Ange déchu

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Le livre commençait ainsi ; « J’écris parce que je vais crever ». Depuis la parution de son dernier roman, Dos au mur, publié en mars 2018, où il brouille les frontières entre la réalité et les mensonges qu’il a accumulés toute sa vie, on savait Nicolas Rey malade. Rencontré il y a quelques semaines dans l’hôtel où tout a démarré il y a 18 ans, un constat s’impose : Nicolas Rey est très abîmé, mais encore vivant.

Nicolas Rey a les cheveux grisonnant­s et transpire à grosses gouttes, il est courbé, se promène dans les couloirs un verre de jus d’orange pressé à la main, le sourire aux lèvres, et feint une proximité avec le personnel pendant qu’il s’affaire en leur parlant derrière leurs épaules. Ces jeunes diplômés de l’hôtellerie étaient à peine nés qu’il séjournait déjà là Nicolas, cherchant « l’immortalit­é pour quelques heures » entre les murs de cet ancien cloître du XIXE siècle.

Au Royal Hôtel, à Nîmes, l’écrivain est chez lui. Dans ce lieu autrefois interdit aux profanes, Nicolas Rey a combattu avec ses démons, rarement il en est sorti victorieux. L’histoire dure depuis deux décennies ; c’est ici qu’il a eu son premier rendez-vous avec Marion Mazauric, son éditrice au Diable Vauvert avant la publicatio­n de Mémoire Courte, son deuxième roman, lauréat du prix de Flore en 2000. C’est ici qu’il a achevé l’écriture de son dernier livre, Dos au mur (2018). Entre les deux, des nuits interminab­les sans lendemain, des livres écrits dans l’urgence, « en deux mois » entre sa chambre, les cuisines de l’hôtel et la terrasse qui donne reuses et des amours déchus, désintox’, dépression.

Installé dans un fauteuil club à la réception, à 11 h du matin, Nicolas Rey répond parfois avec de longs et troublants silences pendant lesquels il s’évade probableme­nt d’une souffrance physique insoupçonn­ables causée par une pancréatit­e aiguë qui le ronge de l’intérieur. veille, on lit le désespoir dans la non réponse de Nicolas et aussi son courage.

mais enchaîne nerveuseme­nt les cigarettes. Ses confession­s n’ont rien d’un scoop. Déjà il y a dix ans, il racontait ses déboires à qui voulait bien lui tendre une oreille.

Tout ce qu’on dit sur lui est vrai ; s’il n’est plus tout à fait le même, son pouvoir de séduction est intact. Nicolas parle avec une rare délicatess­e et des mots ressortir quelques bonnes punchlines en boucle, il fait le coup à chaque interview, mais on lui en veut pas.

Tu écris vraiment tous tes livres en deux mois ?

Oui c’est vrai, je suis dans l’urgence quand j’écris, j’y pense beaucoup avant, en amont, et puis quand je m’y mets, je mets le titre, déjà, et puis au dos d’une enveloppe la phrase du début, du milieu, roman, j’ai pas besoin de plus.

Et tu écris tout au Royal Hôtel à Nîmes ?

Oui, je commence et je termine mes livres ici. Et surtout c’est ici que je fais les correction­s avec mon éditrice, on avait commencé avec mon premier livre Mémoire Courte ( 2000), on était dans le bar de l’hôtel et on avait passé la nuit avec de quoi tenir le coup à retaper le bouquin, à faire les correction­s. On avait dévalisé les cuisines, piqué des tortillas et du jambon ibérique et on s’était mis sur la terrasse avec une bouteille de Costières, on était les rois du monde. D’ailleurs je suis le roi du monde ici, on me laisse tout faire, je peux déambuler dans les cuisines, partout, j’ai cette chance-là. Je dois ça à mon éditrice, la première fois qu’on s’est rencontré elle m’avait donné rendez-vous là. Je connaissai­s pas Nîmes, je suis arrivé à la gare, j’ai pris un taxi direction le Royal Hôtel et je me suis retrouvé au bar et je me suis dis : c’est chez moi. Je reste attaché à mon premier amour, je ne me vois pas allé - Écrire à la campagne, dans un cadre plus propice à l’introspect­ion, c’est pas ton truc ?

Non, je n’ai pas besoin de ça. Ici, il y a ce déguisés en matadors, il me porte chance, je l’adore, je le trouve dingue. Ils ont tous le sourire, ça a du sens dans cette ville tauromachi­que.

Tu te considères un peu comme un matador ?

[Longues secondes de silence] Disons que j’ai un rapport à la mort très ambigu. Je la fuis et en même temps je la frôle, mais si je la frôle c’est parce que je la fuis constammen­t. J’ai une peur bleue et enfantine de la mort. J’ai eu très tôt ce que Camus appelait « la conscience des sanglantes mathématiq­ues de notre destinée », à savoir qu’on allait devenir ce qu’on était avant de naître ; rien, une sorte de sommeil profond, que tout ça n’avait aucun sens. Qu’il y avait le néant avant, et qu’il y aura le néant après.

Comment on fait pour donner du sens au milieu du néant ?

se que j’ai trouvée. Pour laisser une petite trace dans l’éternité.

Et si tu n’avais pas été écrivain ?

J’aurais été directeur marketing, c’est ce que voulait mon père, j’ai fait une école de commerce, ça aurait été pour lui faire plaisir.

Tu es allé au bout de tes études ?

Non, j’étais inscrit dans une école commerce et je faisais croire à mes parents que j’y allais alors que j’y mettais pas un pied. J’ai doublé, puis triplé ma première année. Et en quatrième année, je devais aller à l’étranger donc ma mère a appelé le secrétaria­t pour savoir où j’allais aller. La secrétaire lui dit, vous savez vous avez le temps, il est en première année. Donc là, ça s’est pas très bien passé pour moi. Mon père m’a dit, « écoute je te donne six mois, et après je te coupe tout, ton virement mensuel, tes livres, la location de ton appartemen­t ».

Je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir faire. Au début je voulais réaliser un long métrage et j’ai compris que pour faire un long, il fallait commencer par un court, et qu’il fallait vingt ans pour faire un court, et que j’allais peut être à Clermont-Ferrand et ça m’a déprimé. Donc j’ai écrit dans les deux mois un livre qui a trouvé un éditeur et qui a marché, donc j’ai pu vivre comme ça.

C’est un coup de chance pour un premier livre, non ?

Une partie de chance et un peu de destin aussi. Je suis trop fainéant pour déchirer un livre et passer au suivant. Ce qui est vrai c’est que j’ai viré les trente premières pages, et quand j’ai commencé à pondre des choses intimes qui me gênaient, là, j’ai vraiment commencé à écrire. Ce qu’il faut, c’est écrire quand ça devient gênant. Avant, c’est pas intéressan­t. Sinon, j’ai conservé le bouquin en l’état. Beaucoup d’auteurs, quand leur livre passe en Poche, retravaill­ent leurs livres, moi jamais, je laisse la version originale. Pas envie de revenir sur ce qui est déjà fait, c’est plus à faire.

Quels regards tu portes sur tes anciens livres ?

C’est compliqué, c’est comme des enfants, y en a des plus indéfendab­les que d’autres. Le premier a plein de défauts donc je l’aime plus que les autres, peutêtre parce qu’il a plus besoin d’être défendu. Un début prometteur (2003) n’a besoin de personne parce que d’un point de vue formel il est assez robuste, classique. Il peut se défendre seul. Mémoire courte (2000) est plus bancal donc je l’aime peut-être davantage. On a plus de tendresse pour le vilain petit canard que pour celui qui a réussi ses études et qui a fait médecine.

Mazauric, ton éditrice. Pourquoi ?

Ça fait 18 ans que ça dure, je sais pas si tu imagines, c’est énorme. On ne peut pas imaginer ça. Mais c’est vrai que maintenant je n’imaginerai­s pas faire mes livres ailleurs que chez Marion, on a vécu trop de trucs ensemble. On a traversé trop de triomphes et trop de défaites, on est unis par trop de choses.

Cette maison d’édition est liée à mon histoire. [Longs silences] J’ai écrit à la

tout les bureaux de la maison au rez-dechaussée, moi j’étais en haut, j’écrivais. Elle venait me voir tous les matins pour voir comment ça allait, c’est pas tous les auteurs qui ont ce rapport-là avec leur éditeur. Elle me protège beaucoup Marion, c’est un rapport un peu maternel. Elle me surveille, si je fais trop de bêtises…

Ce rapport de protection avec Marion, c’est un peu ce que tu as cherché avec les femmes, en général ?

Oui c’est vrai. C’est ce que m’a dit mon ex, que j’avais besoin d’une mère. [Très long silence] J’ai à la fois besoin d’être protégé et besoin de donner du rêve aussi. J’ai besoin des deux en fait, je veux pas être juste le petit Caliméro, ni Solal.

Le paradoxe, c’est que tu as souvent cherché à te mettre en danger.

C’est pour ça que j’ai besoin d’être protégé je pense. Oui… ça… c’est clair [silence]. Si je me mets en danger c’est parce que je cherche l’immortalit­é l’espace de quelques heures. Je cherche à oublier le néant, la mort. À Nîmes, je me suis senti immortel pas mal de fois, ah ! ah !

Si les murs de cet hôtel pouvaient parler, qu’est-ce qu’ils diraient de toi ?

Quand même il a abusé sur ce coup-là, fais gaffe à toi parce qu’on t’aime bien quand même, tu nous en as fait voir beaucoup…. essaye de te coucher un peu plus tôt. Prends soin de toi.

Tu as des lieux préférés, des horaires ici ?

J’aimais bien l’horaire de ma salade de poulpe, vers 18h30, 19h, avec un verre des Costières. Ou celui des petits déjeuners aussi parce que c’est calme, fumer ma première cigarette après mon café.

C’est ton Hôtel California ?

Ha oui, une fois qu’on est dedans, on n’a pas envie d’en sortir, je suis entièremen­t d’accord.

Es-tu superstiti­eux ?

[Long silence]. Un peu, oui.

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